initiation à l'épigraphie grecque par Claire Tuan, femmes à Delphes.
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femmesAmphissa.jpg

Quelques femmes à Delphes


Femmes esclaves libérées totalement ou sous condition,
femmes qui ont vendu leurs esclaves,
épouses ou filles de hauts personnages,
prêtresses, femmes de lettres ou musiciennes,
elles ont laissé leur trace dans les inscriptions de Delphes.

femmeAmphissa-s.jpg femmeAmphissa-s.jpg femmeAmphissa-s.jpg

1. "Corps féminins" affranchis par vente à Apollon,

et femmes vendant ces "corps féminins".


Nous en avons rencontré plusieurs dans les pages sur les affranchissements d'esclaves,
et je vous y renvoie :

Ce sont :

Nikoboula, vendue avec ses vêtements et ses bijoux par Eukratès de Lilaia,
mais qui a dû rester auprès de son ancien maître jusqu'à la mort de ce dernier.
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Hilaron, vendue très cher (15 mines d'argent, alors que le prix moyen était de 3 ou 4 mines),
 et avec moult témoins (14), par Astoxénos.
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Sôsicha, vendue par Anticharès.
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Antigona, vendue par Aphrodisia, sous condition de rester
auprès de son ancienne maîtresse jusqu'à la mort de cette dernière,
mais qui finalement a été libérée de cette contrainte par Aphrodisia.
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 Sôstrata, vendue par les deux soeurs Sôtèricha et Ktèsis,
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 et Onasiphoron, vendue par Sôphrona qui ne savait pas lire.
Cette Onasiphoron a dû donner au fils de son ancienne maîtresse
un bébé, de façon à ne pas diminuer le "cheptel" servile de la famille.

Ces trois derniers témoignages nous montrent qu'à Delphes, à la différence d'autres cités,
une femme pouvait procéder à une vente sans être "chapeautée" par son "kyrios",
qu'il soit son père, son mari ou tout autre.


femmeAmphissa-s.jpg femmeAmphissa-s.jpg femmeAmphissa-s.jpg

2. épouses et filles de personnages de haut rang.

En voici quatre : Appia Regilla, Julia Chrysea, Memmia Loupa et Nausicaa.

La première est aussi la plus célèbre. 
Parmi la rangée de bases en contrebas du portique ouest,
qui étirent leurs ombres parallèles en cette belle matinée de février,

porticW.jpg

approchons-nous de celle qui est à droite sur la photo ci-dessous :

A10vueMedaillons-2.jpg

baseAppia-s.jpg  appia-s.jpg
                                                                                      FD III 3:71.

 Cliquez sur l'image de droite pour une meilleure lecture.
Il semble que le graveur ait hésité sur le prénom de cette femme,
qui s'appelait Appia Annia. On lit des nu, corrigés ensuite en pi.

appiaReg.gif traduction :
(Cette statue d') Appia Régilla,
épouse de Claudius Hérode le bienfaiteur,
qui a surpassé toutes les femmes du passé
par ses origines, sa sagesse
et toutes ses autres qualités,
c'est en raison de sa vertu,
de sa sagesse
et de son amour pour son mari
que le Conseil
et le peuple des Delphiens
(l'ont consacrée)
à Apollon Pythien

Pour plus de détails sur cette femme célèbre,
l'épouse d'Hérode Atticus,
je renvoie à deux pages que j'ai réalisées dans ma première
"promenade épigraphique à Olympie" :
celle-ci, et le dossier qui la complète.

femmeAmphissa-s.jpg

La deuxième de ces "nobles dames" est une certaine Julia Chrysea,
dont la base se trouve sur l'esplanade du temple d'Apollon,
devant la terrasse d'Attale dont vous voyez les blocs rangés à l'arrière-plan :

vue-JChrysea.JPG

baseJulChrysea-s.jpg
Bourguet, De Rebus Delphicis, p.50. dernier quart du Ier s. apr. J.C.

Cliquez sur l'image pour lire l'inscription.
Observez les lettres lunaires (epsilon et sigma),
ainsi que la forme également arrondie des ôméga et des mu.
Le graveur n'a pas toujours bien calculé la largeur des lettres,
ce qui l'a obligé à les serrer en fin de ligne, comme ici,
ou un tout petit omicron se glisse entre l'iota et l'upsilon final,
alors que les mêmes lettres au début du mot sont très larges :

B11-Iouliou-s.jpg

juliachrysea-tr.gif Traduction :
A la Bonne Fortune,
(La statue de) Julia Chryséa,
fille de Julius Séleukos,
épouse de Tib(érius) Claudius
Celsus, Nikopolitain
et épimélète Delphien,
en raison de ses qualités
la cité des Delphiens
(l'a consacrée)
à Apollon Pythien.

La statue, comme presque toujours, a disparu,
mais les trous de scellement sur la face supérieure de la base
permettent aux spécialistes de s'en faire une idée :

B11dessus.jpg


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Notre troisième "noble dame", Memmia Loupa,
 se rencontre en plusieurs endroits du sanctuaire :

-----> Sur cette base, que l'on découvre sur la droite quand on monte l'escalier de la Dolonie :

B6-vueMemmia.JPG  vue2Memmia.jpg  memmia-inscr-s.jpg
                                                                                                    Bourguet, De Rebus Delphicis Imperatorum Aetatis, p.13

Cliquez sur l'image de droite pour lire le texte.
Remarquez la forme des lettres,
très différente de celles de l'inscription précédente :
- l'alpha à barre médiane brisée,
- le mu et le sigma aux barres externes parallèles,
l'ôméga comme un mu retourné.

memmiaLoupa-tr.gif traduction :
P(ublius) Memmius Stasimos
(a fait ériger la statue de)
Memmia Loupa,
fille du prêtre
P(ublius) Memmius Sôtêros,
archéis,
sa bienfaitrice.
Par décret du Conseil.

Cette femme était d'une famille de notables bien connue à Delphes.
Elle assuma la charge d' "archèis" (desservante du culte de Dionysos).


-----> On la retrouve au théâtre, sur plusieurs rangées de gradins à l'ouest,
où l'on lit son nom écrit au génitif :

arkheid-tr.gif

theatreLoupa-s.jpg

En allant voir sur place, je me suis demandé pourquoi elle avait choisi
de réserver pour elle-même et sa "suite" cette travée.
La vue sur les Phédriades y est très belle,
et si les spectacles avaient lieu l'après-midi elle n'avait pas le soleil dans les yeux.
Mais peut-être y a -t-il d'autres raisons...


-----> Enfin un décret très remarquable de la cité de Delphes,
 en l'honneur de son petit-fils, la mentionne également :

memmiaLoupa2-tr.gif
FD III 1:466[2]  — vers 125-150 apr. J.C.

Traduction :
Dieu. Attendu que Memmius Nikandros, descendant de nombreux prêtres,
fils du prêtre Memmius Euthydamos et de Memmia Euthydamillè,
petit-fils de Memmia Loupa l'Archéis,
 après avoir été le fleuron de notre cité
et du concours des Pythia par son rôle de secrétaire, de chef du xyste,
et d'autres fonctions où il s'est distingué, est décédé,
il a plu à la cité de voter en sa faveur des honneurs héroïques,
de lui adresser des prières en tant que héros, au prytanée,
et d'ériger des statues le représentant dans les cités les plus célèbres de l'Achaïe
où se déroulent les concours sacrés : Delphes, Pise, Argos et Corinthe ;
 et que les magistrats de ces cités fassent inscrire ce décret sur les bases (?).


L'expression en bleu signifie qu'il est mort.
Selon B. Puech, c'est le seul exemple d'octroi par la cité de Delphes d'honneurs héroïques.

femmeAmphissa-s.jpg

Pour aller voir la quatrième de nos "nobles dames", celle dont le nom,
Nausicaa, évoque irrésistiblement la princesse phéacienne de l'Odyssée,
nous allons monter le bel escalier presque intact qui, derrière le temple,
à gauche de la niche de Cratéros quand on regarde vers la montagne,
devait mener au théâtre mais n'aboutit plus nulle part.

planescalierNausicaa.jpg   escalierNausicaa.jpg

Avec un peu d'escalade, nous arriverons en vue de cette petite colonnette
dont le marbre blanc tranche sur les pierres grises environnantes :

vueCippeNausicaa.jpg

Afin de faciliter la lecture, j'ai "aplati" la rondeur de la pierre :

nausicaa-tt-s.jpg
CID 4:162 — fin du IIe s. apr. J.C.?

Pour lire, cliquez sur l'image.
Certes la gravure n'est pas très élégante,
mais, si je peux me permettre ces expressions familières,
 la dame possédait un titre assez ronflant et son pedigree ne l'était pas moins !

nausikaa2.gif

Traduction :
A la Bonne Fortune,
Le koïnon des Amphictions et le koïnon des Achéens
honorent en raison de ses qualités
Tib(eria) Cl(audia) Polykrateia Nausicaa,
l'excellente et grande-prêtresse du koïnon des Achéens,
fille de Tib(érius) Cl(audius) Polykratès,
grand-prêtre et Helladarque à vie du koïnon des Achéens,
et de Tib(éria) Cl(audia) Diogéneia,
grande-prêtresse du koïnon des Achéens.


Dans ma traduction j'ai gardé le mot grec "koïnon",
mais on peut le traduire par "confédération",
tout en ayant présent à l'esprit que ce terme n'a pas toujours recouvert
la même réalité politique au cours des âges.
Nous sommes ici à l'époque où le pouvoir romain,
qui avait auparavant détruit les confédérations de cités et de peuples grecs
qui s'opposaient à lui et constituaient dont une menace pour son expansion,
a au contraire encouragé la reconstitution de ces confédérations
qui simplifiaient la gestion de l'Empire.

Les grands-prêtres de ces confédérations étaient chargés du culte de l'Empereur,

et l'Helladarque était responsable pour la province de Grèce des fêtes en l'honneur du pouvoir impérial.

Enfin le qualificatif "kratistos", et ici au féminin "kratistè",
signifie toujours à l'époque impériale que la personne est de rang sénatorial,
soit par elle-même, soit par ses parents.



femmeAmphissa-s.jpg femmeAmphissa-s.jpg femmeAmphissa-s.jpg

3. prêtresses.

Il nous suffira de revenir
- à Nausicaa,
grande-prêtresse du koïnon des Achéens,
- à Memmia Loupa
, archéis, c'est-à-dire prêtresse de Dionysos à Delphes,
- et à Regilla
, qui à Olympie a eu l'insigne honneur d'être désignée comme prêtresse de Dèmèter.


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4. une femme de lettres.

En levant les yeux sur la colonne du monument de Prusias,
on peut lire une foule d'inscriptions.

auphria-vue.jpg

Parmi elles, se trouve un décret honorant une femme, Auphria.

auphria-s.jpg
FD III 4:79  — début du IIe s. apr. J.C.

La pierre est cassée, et il semble que la fin du même décret se trouve
sur un fragment du bloc inférieur.
Mais nous nous intéresserons seulement au fragment principal.

Auphria.gif Traduction :
Dieu. A la Bonne Fortune.
Il a plu à la cité des Delphiens
qu'Auphria [---] soit Delphienne,
attendu que, étant venue vers le dieu,
elle a fait montre de tous les aspects de sa culture,
par l'exposé de discours nombreux,
beaux et des plus agréables,
lors du rassemblement des Grecs
à l'occasion des Pythia, ...

A la ligne 3, le mot "Delphiôn" est étrange avec son iota...

On ne sait rien de plus de cette femme : ni d'où elle venait,
ni si elle était, comme il semble, une exception dans le milieu masculin des orateurs de l'époque...

femmeAmphissa-s.jpg
 

5. une musicienne.

 citharisteAmphissa.gif

Une fois n'est pas coutume, je vous présente pour finir
une inscription que je n'ai pas photographiée ni même vue de mes yeux,
mais qui est assez remarquable, et très connue (FD III 3, 249).
Une femme musicienne, Polygnôta, est venue à Delphes à l'occasion du concours des Pythia
(le texte ne dit pas expressément qu'elle comptait y participer,
peut-être voulait-elle profiter de l'affluence pour faire apprécier ses talents ?).
Mais la guerre mithridatique ayant empêché que se tienne le concours,
elle a néanmoins donné plusieurs récitals, pour le plus grand plaisir des Delphiens.

    polygnota.gif

Traduction :
Dieu ; à la Bonne Fortune.
Sous l'archontat d'Habromachos, au mois de Boukatios, étant bouleutes pour le
premier semestre Stratagos, Cléon, Antiphilos et Damon,
il a plu à la cité des Delphiens :
attendu que Polygnôta, fille de Sôkratès, de Thèbes, harpiste,
qui était venue à Delphes au moment où devait se dérouler le concours des Pythia,
lequel ne put avoir lieu à cause de la guerre qui sévissait,
offrit la fine fleur de son art le jour-même par une journée de récital ;
et que, à la demande des archontes et des citoyens, elle donna des concerts pendant trois jours
et eut un immense succès, digne du dieu, du peuple des Thébains et de notre cité,
et que nous lui avons offert une couronne [[et un prix de 500 drachmes]] ;
A la Bonne Fortune, qu'on accorde l'éloge à Polygnôta, fille de Sôkratès, Thébaine,
pour sa piété et sa dévotion envers le dieu
et pour l'excellence qu'elle a atteinte dans son métier et dans son art ;
qu'il lui soit accordé, à elle ainsi qu'à ses descendants, de la part de notre cité,
la proxénie, la priorité pour consulter l'oracle, la priorité en justice,
 la garantie contre toute saisie de ses biens, l'exemption de taxes,
un siège d'honneur lors des concours organisés par la cité, le droit d'acquérir terre et maison,
ainsi que tous les autres privilèges réservés aux autres proxènes et bienfaiteurs de notre cité ;
que par ailleurs on l'invite au prytanée pour le repas commun,
et qu'on lui offre une victime à sacrifier à Apollon.


Ce n'est pas si souvent que l'on trouve mention d'une femme
qui comme Polygnôta était virtuose d'un instrument de musique
et appréciée comme telle, et honorée par toute une cité.
Les images sur les vases grecs antiques ont bien plutôt popularisé l'idée
que les femmes musiciennes "servaient" à l'agrément des soirées entre hommes,
les fameux "symposia".
Mais il semble que pour s'imposer à son public Polygnôta a tout de même eu besoin
d'être chaperonnée par un de ses proches,
que la cité de Delphes a également honoré par un décret (FD III 3, 250).




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