initiation à l'épigraphie grecque par Claire Tuan : au musée de Manisa, suite.

  rameursvo.jpg retour au menu.
          retour à Manisa 1
           aller à Manisa 3 stèle de confession

cour du musée Au musée de Manisa (2) cour du musée

Encore 6 inscriptions :

-7-

  Malay 51


Malay, Manisa Mus. 51

  χαῖρε· καὶ σύ.
  οἱ κατοικοῦντες
 ἐτείμησαν Κολο-
 ηνοί, Κουστιανοί,
   Ταβακρηνεῖται
 Ζωσίμην ἐθῶν ἕ-
 νεκε καὶ οἰκοδεσ-
 ποσύνης, κατασ-
 κευάσαντος Ἀνει-
 κήτου τοῦ ἰδίου
 ἀνδρός· μνήματος
ἢ τύμβου ποσὸν ἄν τις ἐμ-
 οῦ τι κολούσῃ, τούτου πρ-
 όσρειζον πᾶν ἀπόλοιτο
     γένος.


Salut ! A toi aussi.
Les habitants
Koloènoi, Koustianoi,
Tabakrèneitai
ont honoré (de cette stèle)
Zôsimè en raison de sa moralité,
et pour avoir été
une bonne maîtresse de maison,
son époux Anikètos
s'étant chargé de la stèle.

Si quelqu'un mutilait en quoi que ce soit
mon monument ou la tombe,
que toute sa descendance soit anéantie.


Cette épitaphe commence par la salutation assez habituelle que le passant adresse au défunt.
Et le défunt répond,
soit simplement comme ici par le simple καὶ σύ. et toi,
soit en reprenant aussi le verbe : χαῖρε καὶ σύ. salut aussi à toi,
soit en précisant qu'il s'adresse à quiconque passerait devant la stèle :
χαῖρε καὶ σύ, τίς ποτ’ εἶ. salut à toi, qui que tu sois,
ou : χαῖρε καὶ σὺ παροδῖτα. salut à toi aussi, passant.

Malay 51

Qui sont ces habitants ?
Pour les Koustianoi et les Tabakrèneitai, à ce jour on ne sait pas.
Mais les Koloènoi devaient habiter près du lac Koloè,
qui s'appelle maintenant le lac Marmara, Marmara gölü en turc,
à 50 km à l'Est de Manisa :

lac Koloè
Google Maps

A moins qu'ils soient d'une autre cité appelée Koloè (vers ma flèche bleue),
au sud du Mont Tmolos (aujourd'hui : Boz Dağ) :

situation de Koloè
Google Maps

A la fin de l'épitaphe, une malédiction est lancée contre quiconque violerait la tombe,
alors que dans d'autres cas la menace est celle d'une forte amende à payer, comme dans l'inscription suivante.


enfant

-8-

Observons maintenant cette belle stèle, appelée "tabula ansata" (table avec anses) :

Malay 360


Malay, Manisa Mus. 360

  στρατη[γ]ήσας Δ̣ι̣ωγᾶς ΔΥΩ [?]

ἔτους τκϛʹ, μη(νὸς) Δύστρου
γʹ ∙ Αὐρήλιοι Μητροδώρα
Θεαγένει τῷ ἀνδρὶ καὶ
Θεαγένει καὶ Ἀρτεμιδω-
ριανῷ τοῖς τέκνοις, Φιλί-
πη κὲ Μητρόδωρος τῷ πα-
τρὶ κατεσκεύασαν καὶ ἑ-
αυτοῖς καὶ τέκνοις καὶ
ἐγγόνοις, ἄλῳ δὲ οὐ δι-
οίσει· εἰ δέ τις παρὰ ταῦ-
τα ποιήσει, δώσει ἰς τὸ
ταμεῖον 𐆖 ͵αφʹ. Ἄμμειν
τὸν ἀδελφόν, Κράτων τὸ-
ν πενθερόν, Ἀμμιανός,
Εὐσχολὶς τὸν πάπον.


côté gauche :
χαῖ-
ραι.

Je ne traduis pas la première ligne,
qui semble d'ailleurs avoir été ajoutée par la suite.


En l'an 326, le 3 du mois Dystros,
les Aurèlioi Mètrodôra
pour son époux Théagénès
et pour ses enfants
Théagénès et Artémidôrianos,
et Philipè et Mètrodôros pour leur père,
ont fait faire (cette stèle),
et pour eux mêmes
et pour leurs enfants
et leurs descendants,
et elle ne sera pas
à disposition d'un autre.
Si quelqu'un agit
contrairement à cela,
il devra verser au trésorier
(une amende de) 1500 deniers.
Ammin (honore) son frère,
Kratôn son beau-père,
Ammianos et Euscholis
leur grand-père.



Pour l'écriture des chiffres, voir ici, et pour l'année, voir ici :
326 après le début de l'ère en 85/4 av. J.C., cela donne 241/2 apr. J.C.

Pour l'amende, le Khi barré horizontalement, 𐆖, représente le denier.

  Quelques remarques sur la forme des lettres :

l'upsilon barré : upsilon, le rho : rho , l'ôméga : omega
et surtout le phi : phi, que l'on retrouve dans l'amende à payer, pour noter 500.

De nombreuses autres "tabulae ansatae" très semblables à celle-ci par leur décor ont été trouvées dans la même région.


enfant

-9-

Voici une autre stèle funéraire, très différente
par sa forme même et par la forme des lettres,
plus ancienne que la précédente de 80 ans environ,
et on y trouve toute une famille !

Malay 524



Malay, Manisa Mus. 524
ἔτους σμε, μη(νὸς) ϛ, Ἀμμιὰς
Βάσσον τὸν ἄνδρα, Βάσος,
Φίλιππος, Μηνογένης, Δι-
όδωρος, Ἀπφιὰς τὸν πατέ-
ρα, Διόδωρος, Πόπλις, Στρα-
τονείκη, Ἀπφιὰς τὸν ἀδ[ελ]-
φόν, Μύρτιον τὸν θρέψ[αν]-
τα, Φίλιππος, Ἄτταλος τ[ὸν]
πενθερόν, Ἀμιὰς τὸν̣ [πενθε]-
ρόν, Ἀπολλόθεμις τ[ὸν πεν]-
θεριδῆ, Ἀπφιὰς τὸν γ[αμβρὸν]
ἐτείμησαν καὶ οἱ [συνγενεῖς πάν]-
         τες.


en l'an 245, au sixième mois(?),
Ammias a honoré (de cette stèle)
Bassos son époux,
Bassos, Philippos, Mènogénès,
Diodôros et Apphias leur père,
Diodôros, Poplis, Stratoneikè,
Apphias leur frère,
Myrtion celui qui l'a élevée,
Philippos, Attalos leur beau-père,
Amias son [beau-pè]re,
Apollothémis son beau-frère,
Apphias son gendre,
et toute la parenté (l'a honoré).



Pour l'écriture des chiffres, voir ici, et pour l'année, voir ici :
  245 après le début de l'ère de Sylla en 85/4 av. J.C., cela donne 160/1 apr. J.C.
Pour le mois, je ne sais si à la différence des autres inscriptions de la Lydie
le mois n'avait pas de nom ici mais un numéro,
ou bien si le graveur a oublié d'inscrire le nom du mois,
et dans ce cas il faudrait traduire :
le 6 du mois.

la graphie des lettres est intéressante :

remarquez l'alpha alpha, et de même le delta delta et le lambda lambda ;
et ne confondez pas deux lambda avec un mu mu ;
puis l'epsilon epsilon et l'êta eta, qui ont tous deux un point central au lieu d'une barre médiane ;
le rho rho, le phi très allongé avec ses deux petits ronds phi, et l'ôméga omega.
Οbservez la ligature H+N dans le mot ΜΗΝΟΓΕΝΗΣ Menogenes,
et enfin la façon de distinguer les chiffres des lettres par une barre au dessus mènos stigma,
tandis que le mot désignant le mois, Mènos, est abrégé en MH,
mais l'êta est représenté seulement par les deux barres verticales à l'intérieur du M.


enfant

-10-

stele funeraire Meltinè
 
Jolie stèle funéraire, non datée,
avec le miroir à gauche et le peigne à droite, symboles féminins,
pour une toute petite fille.
 
SEG 28, 930

Διόδωρος κὲ Μελτίνη
κὲ Ἰουλιανὸς ὁ πάτρως
Μελτινῆδι τῷ ἰδίῳ τέκν-
ῳ μνείας χάριν ἐτῶν
        γʹ.


Diodôros et Meltinè,
et Ioulianos l'oncle paternel,
pour leur enfant Meltinè,
âgée de 3 ans,
en souvenir.



enfant

-11-

Quand des soldats en campagne s'en prennent aux habitants,
et que ces habitants se plaignent à l'Empereur :

lettres de Pertinax et du proconsul

SEG 38, 1244

ἐξ ἐπιστολῆς θεοῦ Πε[ρτίνα]-
κος· "ἐπεὶ δὲ καὶ στρατιώτας [ἐν]
ὁδῷ πορευομένους ἐ[κτρέ]-
πεσθαί φατε ἐκ τῆς λεωφόρο[υ]
5    καὶ ἀνιέναι πρὸς ὑμᾶς οὐδ̣ε-
νὸς ἑτέρου χάριν ἢ τοῦ λαμβά-
νειν τὰ σουπλημέντα καλού-
μενα, καὶ περὶ τούτου διδαχθεὶς
ὁ κράτιστος τοῦ ἔθνους ἡ-
γούμενος ἐπανορθώσεται
τὰ δοκοῦντα ὑπὸ τῶν στρατιω-
τῶν πλημμελεῖσθαι εἰς ὑμᾶς".

Αἰμίλιος Ἰοῦνκος ἀνθύπατος Ταβα-
λέων ἄρχουσιν βουλῇ δήμῳ χαί-
ρειν·    ἄν τινα στρατιώτην ἐλέγ-
ξητε εἰς τὴν πόλιν ὑμῶν ἐκτρα-
πέντα τῶν μὴ πεμφθέντων
εἰς Αἰζανούς, ἀλλ’ ἐπὶ τῷ ἀργυρίζ[ειν]
πλανώμενον, κολασθ̣[ήσεται]·
οὐ δεῖ δὲ νῦν τὰ τοιαῦ[τα — — —]
ὡς ξένα· διείρητα[ι — — —]-
ώρισται ὑπὸ πά[ντων — — — μὴ]
ἐξεῖναι ἀπὸ [τῆς     ὁδοῦ]
ἀποχωρεῖν [— — —]
τὸ δίκαιο[ν — — —]-
θαι ΚΟΙ[— — —]
ἐρρῶσθ̣[αι ὑμᾶς εὔχομαι. 
        ]
ἐπρέ̣[σβευσαν — — —]
Λ[— — —]

ma traduction :

Extrait de la lettre du divin Pertinax :
"Puisque vous dites aussi
que des soldats en déplacement
se sont détournés de leur grand route
et sont montés jusque chez vous
dans le seul but de prendre
ce qu'on appelle les souplementa,
une fois informé de cela aussi
l'excellent chef de la nation
redressera les torts que les soldats
semblent avoir eus envers vous"
,
"Aimilios Iounkos proconsul, aux magistrats,
au conseil et au peuple de Tabala, salut.
Si vous contrôlez un soldat qui se serait détourné
de sa route pour entrer dans votre ville,
mis à part ceux qui ont été
envoyés en mission à Aizanoi,
et qu'il ne dévie que pour faire de l'argent,
il sera puni.
Il ne faut pas que de telles choses...
Qu'il ne leur soit pas permis
de s'éloigner de leur route...
Je souhaite que vous vous portiez bien.
Ont été envoyés en ambassade...






Cette inscription est formée essentiellement d'un extrait d'une lettre de l'empereur Pertinax,
et d'une lettre du proconsul Aemilius Juncus.

L'empereur Pertinax a succédé le 31 décembre 192 à Commode assassiné,
et son nom a été "IMPERATOR•CÆSAR•PVBLIVS•HELVIVS•PERTINAX•AVGVSTVS",
mais il a été lui-même assassiné 3 mois après son avènement, le 28 mars 193.
(Voir le récit de Cassius Dion)
Son successeur, Didius Julianus, fut lui-même assassiné
2 mois après son avènement, le 1er juin 193,
et c'est seulement quelques années après l'avènement
de Septime Sévère (193-211) que les troubles s'apaisèrent.
On pourrait être étonné que sur la base de données PHI
il y ait près de 400 occurrences du nom de Pertinax, alors qu'il n'a régné que 3 mois,
mais ce n'est pas de lui qu'il s'agit, sauf pour 6 d'entre elles.
C'est que Septime Sévère a voulu prendre le surnom de Pertinax à sa mémoire.
Son nom d'empereur était, après ses premières victoires :
Imperator Caesar Lucius Septimius Severus Pius Pertinax Augustus Arabicus Adiabenicus Parthicus Maximus,
en grec :
Λούκιος Σεπτίμιος Σεουῆρος Εὐσεβὴς Περτίναξ Σεβαστὸς Ἀραβικὸς Ἀδιαβηνικὸς Παρθικὸς μέγιστος
et ce nom s'est encore allongé ensuite.
C'est aussi Septime Sévère qui dès son arrivée au pouvoir a divinisé le défunt empereur Pertinax,
et donc notre inscription mentionnant θεοῦ Πε[ρτίνα]κος date d'après cette divinisation.

Quant à Aemilius Juncus, on en connaît plusieurs, depuis Hadrien et même avant.
Celui de notre inscription est appelé par Pertinax :
ὁ κράτιστος τοῦ ἔθνους ἡ-
γούμενος

(l'excellent chef de la nation),
ce qui était une façon de désigner les proconsuls, gouverneurs de province,
comme on le voit dans d'autres inscriptions : ὁ κράτιστος ἡγεμὼν,
ou ὁ ἡγεμὼν τοῦ ἔθνους.

la situation de Tabala :
l'inscription nous donne deux indications sur cette situation :
- d'une part des soldats y sont montés (ἀνιέναι), donc elle n'était pas dans la plaine ;
- et d'autre part elle était sur (ou près de) la longue route que devaient emprunter les soldats envoyés à Aizanoi.
Sur cette carte le village de Yurtbaşı est le lieu où a été trouvée l'inscription,
et Çavdarhisar le village où sont les vestiges d'Aizanoi.
La grande cité de Sardes était près de l'actuelle ville de Salihli.

itinéraire de Tabala à Aizanoi
Google Maps

Cette région de Yurtbaşı est magnifique. On y trouve un paysage exceptionnel,
des cheminées de fées (peri bacaları) que je ne résiste pas au plaisir de vous montrer :

Kula Peri1  Kula Peri 2

Kula Peri 3  Kula Peri 4

Mais revenons à notre inscription !

Tabala n'est pas la seule cité à s'être plainte à un empereur
ou directement au gouverneur de la province d'exactions de soldats.
En quoi d'ailleurs consistait ces exactions ?

- Dans notre inscription, il est question de
λαμβά-
νειν τὰ "σουπλημέντα" καλού-
μενα

mais en quoi consistaient ces "supplementa" ?
Etait-ce une réquisition de vivres, ou une réquisition de soldats supplémentaires ?
Les éditeurs ne tranchent pas. La seule occurrence dans l'épigraphie est la nôtre.

- Et dans sa lettre, le gouverneur parle de
ἐπὶ τῷ ἀργυρίζ[ειν]
pour faire de l'argent. Oui mais comment ?


enfant

-12-

Encore une lettre de doléances :

SEG-49-1676a.jpg

Cette inscription est un peu plus difficile à lire, mais elle en vaut la peine.
Pour la partir centrale, je vous ai un peu agrandi deux images que j'ai raccordées :

Hermogenes

Cette stèle, qui est au musée de Manisa, concerne la cité de Sardes :

situation de Sardes
Google Maps

SEG 49, 1676

 ἐπ̣[ιστολὴ]
τῷ σωτῆρι τῆς ἐπαρχείας ἀνθ(υπάτῳ)
Ἀρρίῳ Ἀντωνείνῳ παρὰ Ἑρμογέ-
νους τοῦ Δη<μη>τρίου Σαρδιανοῦ νεω-
5    κόρου θεοῦ Μηνὸς Ἀσκηνοῦ προ-
πάτορος τοῦ ὄντος ἐν Σάρδεσιν·
ἔχοντος, κύριε, δίκαια τοῦ θεοῦ ἐκ
βασιλικῶν δωρεῶν καὶ ἐπικρίσεων
ἐννόμων καὶ ἐπιτρόπων καὶ τῆς βου-
10    λῆς καὶ τοῦ δήμου δίδοσθαι κατ’ ἔτος
ὑπὸ τῶν ἀρχόντων τῆς πόλεως ὡρισ-
μένα κὲ κεκριμένα ἐξ ἔθους 𐆖 χʹ εἴς
τε τὰς θυσίας κὲ σπονδὰς τοῦ θεοῦ
κὲ τοῦ αὐτοκράτορος [ν]είκης τε κὲ αἰ-
15    ωνίου διαμονῆς κὲ τῶν ἀφθόνων καρ-
πῶν, κὲ δεδομένων τούτων ὑπὸ τῶν κα-
τ’ ἔτος ἀρχόντων, σήμερον μὴ διδομένων
ὑπὸ τοῦ ἐνεστῶτος ἄρχοντος Αὐρ(ηλίου) Κτη-
σίππου κὲ ἐπὶ τούτων τῶν θυσιῶν δέο-
20    μαί σου τῆς τύχης κελεῦσαί σε τῷ ἄρ-
χοντι Αὐρ(ηλίῳ) Κτησίππῳ δοῦναι τὰ ἐξ ἔθους
διδόμενα 𐆖 χʹ πρὸς τὸ τὰς θυσίας τῷ θεῷ
τὰς νενομισμένας ἐκτελεῖσθαι· ὑπέτα̣-
ξα δὲ κὲ τῶν πρὸ σοῦ ἀνθυπάτων κὲ ἐπιτρό-
25    πων ἐπικρίσεις· Οὐενουλήϊος Βάλης
ἐπίτροπος Αὐτοκράτορος Οὐεσπασιανοῦ
Σαρδιανῶν ἄρχουσι χαίρειν· τὰ ἐξ ἔθους
εἰς τὰ τοῦ Μηνὸς μυστήρια χορηγούμενα
εὔλογόν ἐστιν δίδοσθαι ἑκάστου ἔτους·
30    κὲ Ἀσπ[ρήν]α̣ς ἀνθύπατος οὕτ̣[ω]ς̣.


ma traduction :

Lettre
au sauveur de la province, le proconsul
Arrios Antôninos, de la part d'Hermogénès
fils de Dèmètrios, de Sardes, néocore
du dieu ancestral Mèn Askènos qui est à Sardes.
Excellence, alors que le dieu a droit,
suite à des générosités royales et à des décisions légales
de procurateurs, du Conseil et du peuple,
de recevoir chaque année, des archontes de la cité,
la somme déterminée traditionnellement de 600 deniers,
pour les sacrifices et les libations au dieu
et pour la victoire de l'Empereur et son règne éternel,
ainsi que pour des récoltes abondantes,
et alors que cette somme avait bien été donnée
par les archontes en fonction chaque année,
mais qu'à ce jour elle n'a pas été donnée par l'archonte
 de cette année, Aurèlios Ktèsippos,
pour ces sacrifices je demande à ta grâce
d'ordonner à l'archonte Aurèlios Ktèsippos
de verser les 600 deniers qui sont donnés
traditionnellement pour les sacrifices au dieu
qu'il est d'usage de célébrer.
Et j'ai joint ci-dessous des décisions qui avaient été prises
par des proconsuls et des procurateurs avant toi :
"Ouenoulèios Balès procurateur de l'empereur
Ouespasianos aux archontes des Sardiens, salut.
Il est raisonnable de donner chaque année la somme
traditonnellement allouée pour les mystères de Mèn"
.
Et le proconsul Asprènas (a fait) de même.




Redonnons aux Romains leur noms latins : Arrius Antoninus, et Οὐενουλήϊος Βάλης =Venuleius Valens,
et à l'empereur Οὐεσπασιανός́ son nom en français : Vespasien .

Problème de traduction :
J'ai été bien embarrassée pour traduire le vocatif κύριε de la ligne 7.
- En grec classique, ce mot désigne le tuteur légal d'un enfant ou d'une femme,
ce qui n'est évidemment pas le cas ici.
- pour les Chrétiens, l'invocation bien connue Κύριε ἐλέησον se traduit par "Seigneur, prends pitié",
mais ce mot de "Seigneur" qui désigne le Christ ne convient pas,
et il évoque aussi la féodalité française.
- enfin, en grec moderne, on traduirait simplement ce mot par "monsieur", ce qui serait incongru.
- d'où mon choix pour une formule de respect, "Excellence".

Les personnes :

Le néocore (gardien et responsable d'un sanctuaire), Hermogénès fils de Dèmètrios,
n'est pas connu par ailleurs.

le proconsul, Arrius Antoninus, lui, est connu.
Le même nom a été porté par plusieurs personnes avant lui,
mais celui de notre inscription a été proconsul (et donc gouverneur)
 de la province d'Asie sous le règne de l'empereur Commode, vers 186.
Un passage d'une lettre envoyée par Tertullien à Scapula, proconsul d'Afrique en 212,
nous apprend que cet Arrius Antoninus avait persécuté des Chrétiens :

"Arrius Antoninus in Asia cum persequeretur instanter,
omnes illius civitatis Christiani ante tribunalia eius se manu facta obtulerunt,
tum ille paucis duci iussis reliquis ait :
ὦ δειλοί, εἰ θέλετε ἀποθνήσκειν, κρημνοὺς ἢ βρόχους ἔχετε".


Traduction d'Eugène-Antoine de Genoude, en 1852 :

Pendant qu'Arrius Antoninus se déchaînait contre nous en Asie,
tous les Chrétiens de la ville, se levant en masse, s'offrirent à son tribunal.
Il se contenta d'en faire emprisonner quelques-uns: " Misérables, dit-il aux autres,
si vous voulez mourir, n'avez-vous pas assez de cordes et de précipices ?"


La ville de Sardes et la diversité religieuse :


Ce fut la capitale du royaume de Crésus, au VIe s. av. J.C.,
puis à partir du IVe s. av. J.C. le siège d'un grand sanctuaire de la déesse Artémis,
dont il reste des vestiges imposants :

temple d'Artemis

J'ai parlé de ce temple dans une autre de mes pages.

Nous sommes, pour notre inscription, à l'époque impériale, vers la fin du IIe s. apr. J.C.,
à une époque où plusieurs religions se côtoient :
A Sardes, notre texte témoigne d'un culte à mystères du dieu Mèn, mais il y a aussi,
en plus des cultes grecs traditionnels, un développement de la religion chrétienne
(voir ci-dessus les persécutions), et si l'on visite de nos jours le site archéologique
de Sardes, on est émerveillé par la très grande synagogue, superbement restaurée,
qui date de la fin du IIIe s. apr. J.C., et qui témoigne d'une importante communauté juive.

synagogue de Sardes  synagogue de Sardes

La sollicitation d'Hermogénès : 

---> Hermogénès ne s'adresse pas à l'Empereur, mais au proconsul d'Asie.
---> Sa demande concerne un culte, celui de Mèn,
qui n'est sans doute pas le plus important de la cité de Sardes,
car cette inscription en est la seule attestation.
  Mais le dieu est dit "propatôr", ce qui indique l'ancienneté de son culte.
---> La cité doit fournir chaque année une somme de 600 deniers pour ce culte.
---> Pour appuyer sa demande, Hermogénès utilise plusieurs moyens :
Ce "droit" de recevoir une telle somme remonte à l'époque des rois,
au moins hellénistiques, si ce n'est antérieurement, aux rois perses,
et a été confirmé par des décisions tant des autorités romaines que de celles de la cité.
Hermogénès insiste aussi sur le fait que les sacrifices du culte
sont "pour la victoire de l'Empereur et son règne éternel".
Hermogénès cite même textuellement à la fin de sa lettre
une décision du procurateur de l'empereur Vespasien (69-79 apr. J.C.),
qui nous donne d'ailleurs un détail intéressant :
ce culte comporte des mystères.
Or on sait que depuis l'époque perse plusieurs divinités asiatiques
comportaient un culte à mystères : ainsi Mithra, Sabazios, Agdistis et Ma ...
et que ces cultes connurent un regain de ferveur à l'époque impériale.

Enfin on est en droit de penser qu'Hermogénès a eu gain de cause
puisqu'il a fait ériger cette stèle, qui confirme pour l'avenir
ce droit coutumier du sanctuaire de recevoir 600 deniers.

valeur de 600 deniers

A l'époque de notre inscription, vers la toute fin du IIe s. apr. J.C.
il apparaît que la solde annuelle d'un soldat était d'environ 300 deniers.

finances de la cité et finances de la divinité

Dans le cas de notre inscription c'est la cité qui finance le culte du dieu,
alors que dans les cités comportant un grand sanctuaire c'était souvent
le trésor du dieu qui finançait sous forme de prêts les besoins de la cité.


  rameursvo.jpg retour au menu.
retour à Manisa 1
aller à Manisa 3, stèle de confession
contact