initiation à l'épigraphie grecque par Claire Tuan, Apollonia du Rhyndakos.
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à Apollonia du Rhyndakos

vue du village

Lors d'une petite visite au village de Gölyazı,
une inscription monumentale a attiré mon attention.
Mais situons d'abord ce village turc moderne, construit sur le site de l'antique Apollonia du Rhyndakos.

trajet

Il se trouve un peu au sud de la route qui va de la grande ville de Bursa (plus de 3 millions d'habitants)
 à Karacabey (l'antique Miletopolis), puis à Bandirma et Erdek (l'antique Cyzique).

situation1
Google Maps

Zoomons pour découvrir ce promontoire remarquable sur le lac Uluabat :

    situation2   situation3
                                       Google Maps

Gölyazı, avec sa presqu'île et son île, est un village de pêcheurs,

pecheurs

avec plusieurs vieilles maisons qui datent de l'époque, avant 1922, où de nombreux Grecs habitaient ce village :

maison ancienne

Certaines des maisons ont été construites sur (ou tout contre) des vestiges de murailles antiques :

maisons et murailles   rue   muraille  

Le village possède aussi un castro byzantin, qui a remployé entre autres pour sa construction des blocs d'un portique antique,
qui auraient été rapportés en bateau du temple d'Apollon construit sur une île proche (à 1km de la ville), Kız adası :

situation de l'inscription

Une belle frise a été assemblée à partir de ces blocs,
mais l'inscription qui court en dessous, elle, n'est pas compréhensible telle quelle !

barques

l'inscription

Car si nous la transcrivons telle qu'elle nous apparaît, elle ne veut rien dire :

ΑΥ ΣΤΟΣ ΘΕΟΥ ΟΣ ΘΕΟΥΝΕ Τ

J'ai indiqué ci-dessus par des espaces les séparations entre les blocs.
Manifestement ceux qui ont assemblé ces blocs se sont uniquement souciés
de raccorder autant que possible les motifs du relief, sans s'intéresser au texte inscrit.

A nous de trouver ce qui était inscrit sur les blocs manquants :

 Entre ΑΥ et ΣΤΟΣ, on présume, d'après le mot répété ensuite : ΘΕΟΥ = (fils) du divin, qu'il manque ΓΟΥ.
Il s'agit donc d'un empereur qui comme tous les empereurs romains porte le titre d'ΑΥΓΟΥΣΤΟΣ.
Il est fils d'un empereur divinisé :
ΘΕΟΥ      ΥIΟΣ, mais de quel empereur ? La suite va nous éclairer,
car il est petit-fils d'un autre empereur divinisé ΘΕΟΥ
dont le nom commence par
 ΝΕ : c'est Nerva, donc nous complétons : ΝΕΡΟΥΑ,
et nous restituons le mot désignant le petit-fils :
ΥIΩΝΟΣ.
Et puisque le grand-père est Nerva, le  père de notre empereur est

Trajan : ΤΡΑΙΑΝΟΣ. Trajan

L'empereur Auguste de notre inscription est donc :

 Hadrien. Hadrien

Reste à trouver le mot qui commence par la dernière lettre visible sur ma photo : Τ.
Mais écrivons d'abord l'ensemble :

[---]  ΑΥΓΟΥΣΤΟΣ ΘΕΟΥ  ΤΡΑΙΑΝΟΥ  ΥIΟΣ ΘΕΟΥ ΝΕΡΟΥΑ  ΥIΩΝΟΣ Τ[---]


barques

C'est pour lui les citoyens d'Apollonia du Rhyndakos ont aussi consacré la dédicace suivante,
où il est qualifié d'Olympien, de sauveur et de fondateur :
(IMT L.Apollon/Milet 2364)

ἀγαθῆι τύχηι·
   Αὐτοκράτορι
[Καί]σαρι Ἀδριαν<ῶ>ι
[Ὀλυ]μπίωι σωτῆρ[ι]
  καὶ κτίστη[ι].


barques

Nous avons donc réussi à restituer le sens de cette inscription fragmentaire,
du moins de ce que nous pouvions déduire des blocs visibles sur ma photo.
Mais dans leur Voyage archéologique en Grèce et en Asie Mineure,
au milieu du XIXe s., Ph. Le Bas et W.H. Waddington
ont noté que cette inscription (n° 1068) courait sur 5 blocs,
et ils l'ont d'abord transcrite ainsi, d'après ce qu'ils voyaient :

1. ΙΣΑΡΤΡΑΙ
2. ΑΝΟΣΑΥ
3. ΣΤΟΣΘΕΟΥ
4. ΟΣΘΕΟΥΝΕ
5. ΤΗΠΟΛΕΙΚΑ


Et les éditeurs plus récents de cette inscription (IMT (=Inschriften Mysia & Troas) LApollon/Milet 2361) ont repris ces lettres supplémentaires :

[Αὐτοκράτωρ Κα]ῖσαρ Τραι̣[ανὸς Ἀδρι]ανὸς Αὔ[γου]στος, θεοῦ [Τραϊανοῦ υἱ]ὸς, θεοῦ Νε[ρούα υἱωνὸς, τὴν στοὰν] τῆι πόλει κα[τεσκεύασεν].

que je traduis :

L'empereur César Trajan Hadrien Auguste, fils du divin Trajan, petit-fils du divin Nerva, a fait construire pour notre cité ce portique.

Si le sens de l'inscription ne fait aucun doute, je constate que la disposition de l'édition Le Bas-Waddington
ne correspond pas entièrement à ce qui est visible :
Le bloc 1 n'est plus en place, et pour ce qui est du bloc 2,
il y a un grand vacat avant Αὔ[γου]στος, et on ne voit aucune trace des lettres ΑΝΟΣ.
Avait-on voulu ne pas couper le nom de l'empereur en raison d'une ouverture ? d'un angle ?
Il faudrait donc au moins dans l'édition indiquer ce vacat :

[Αὐτοκράτωρ Κα]ῖσαρ Τραϊ̣[ανὸς Ἀδρι]ανὸς   vv   Αὔ[γου]στος, θεοῦ [Τραϊανοῦ υἱ]ὸς, θεοῦ Νε[ρούα υἱωνὸς, τὴν στοὰν] τῆι πόλει κα[τεσκεύασεν].

Enfin pour le bloc 5, je n'ai pu photographier que la première lettre, car un panneau cache la suite.


barques

Elargissons maintenant notre enquête sur Apollonia du Rhyndakos.
C'était une colonie de Milet, tout comme sa voisine à l'ouest du même lac, Miletopolis,
et comme sa voisine à l'est, Prousa, appelée antérieurement Kίος.
Elle a comme de nombreuses autres cités bénéficié des largesses de l'empereur Hadrien,
en particulier lorsqu'il s'agissait de reconstruire des édifices après un séisme, mais pas uniquement.
D'autres bienfaiteurs ont eux aussi offert des constructions à la cité d'Apollonia du Rhyndakos,

---> ainsi en 40/41, un prêtre du culte impérial, Gaius Sofius Macer :
(IMT LApollon/Milet 2358)
Γ. Σαύφιος Μά-
κερ ὁ ἱερεὺς
τῶν Σεβαστῶν
γυμνασιαρχήσας ἐκ τῶν ἰδίων
τοὺς νέους καὶ τὴν γερουσίαν
ἐν τῷ εκρʹ ἔτει
κατεσκεύασεν
τῇ πόλει τὸν
μάκελλον ἐκ
τοῦ συναχθέν-
τος ἐκ τῆς γυ-
μνασιαρχίας αὐ-
τοῦ ἀργυρίου.
Πάτος.
Gaios Sauphios Macer,
le prêtre du
culte des Augustes,
qui a été gymnasiarque
des jeunes et des anciens
sur ses propres deniers
en l'an 125,
a fait construire
pour la cité
le macellum
avec l'argent
qui lui restait
de sa gymnasiarchie.


l'année 125 correspond pour nous à 40/41 apr. J.C.
Elle est calculée selon l'ère de Sylla, qui commence en 85/4 av. J.C.,
quand Sylla a soumis les régions qui s'étaient révoltées contre Rome et alliées à Mithridate.
Quant au macellum, c'était une construction du marché,
un espace de vente plus ou moins enclos.

---> Autres bienfaiteurs : 2 frères, Gaius Julius Celer et Gaius Julius Hermas :
(IMT LApollon/Milet 2359 et CIG 3705)
Γάϊος Ἰούλιος Κέλερ ἐκ
τῶν ἰδίων κατεσκεύα-
σεν δήμῳ τῷ Ἀπολλωνι-
ατῶν τὴν ὑποχώρησιν
καὶ Γάϊος Ἰούλιος Ἑρμᾶς ὁ
καὶ Μερκούριος ἔστρωσεν ἐκ
τῶν ἰδίων τὴν πλατεῖαν ἀπὸ
τοῦ ζυγοστασίου μέχρι
  τῆς ὑποχωρήσεως.

Gaios Ioulios Keler
a fait construire à ses frais
pour le peuple des Apolloniates
le "lieu retiré",
et Gaios Ioulios Hermas
dit aussi Merkourios
a fait paver à ses frais l'avenue
depuis la balance publique
jusqu'au "lieu retiré".


Quel est ce "lieu retiré" ? Les dictionnaires ne nous aident guère.
On peut penser à un euphémisme pour des latrines publiques ...???

barques

Mais je ne résiste pas au plaisir de citer pour finir une inscription qui nous fait connaître
une famille de philosophes à Apollonia du Rhyndakos, au IIe ou IIIe s. apr. J.C. :
(IMT LApollon/Milet 2365 —  JHS 17,1897,269 Nr.6)

Μάγ̣νι̣λλα[ν φιλό]-
σοφον Μάγν[ου]
φιλοσόφου θυ[γα]-
τέρα, Μηνίο[υ φιλο]-
σ̣[όφ]ου γυ̣[ναῖκα].

Magnilla, philosophe,
fille de Magnos,
philosophe,
et épouse de Mènios,
philosophe.



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