initiation à l'épigraphie grecque par Claire Tuan, Mnèsimachos-Artémis.

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Mnèsimachos et le sanctuaire d'Artémis à Sardes.


sart


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ecailles     Sardes    ecailles

Si aujourd'hui Sart Mahmut n'est qu'un modeste village de la commune de Salihli,
  l'antique Sardes fut une grande et riche ville, capitale de la Lydie,
dont le dernier roi, au milieu du VIe s. av. J.C., fut le célèbre Crésus.

Plusieurs raisons à cette richesse :

-->>> la plus connue :
 le Pactole.
  Descendant des montagnes pour rejoindre dans la plaine le grand fleuve Hermos,
cette petite rivière traversait la ville et charriait des pépites d'or.
Mais ne vous précipitez pas à Sardes pour espérer devenir riches comme Crésus !
Déjà à l'époque d'Auguste, le géographe grec Strabon écrit (XIII, 4, 5) :

ῥεῖ δ᾽ ὁ Πακτωλὸς ἀπὸ τοῦ Τμώλου, καταφέρων τὸ παλαιὸν ψῆγμα χρυσοῦ πολύ,
[...] νῦν δ᾽ ἐκλέλοιπε τὸ ψῆγμα

"Le Pactole descend du Tmolos, et charriait autrefois beaucoup de paillettes d'or.
[...] mais aujourd'hui il ne reste plus de paillettes."


-->>> deuxième raison :
la fertilité du sol,
qui produisait en particulier un excellent vin.

Sardes

C'est sur ces coteaux au bas des pentes du Bozdağ (le mont Tmolos de l'Antiquité),
que l'on cultivait la vigne, et vous pouvez constater que c'est encore le cas.
(Vous constaterez aussi que j'ai choisi pour le fond de cette page la couleur de la terre de Sardes).

Et la "plaine de Sardes", c'est-à-dire la large vallée du fleuve Hermos,
(appelé aujourd'hui Gediz) produisait (et produit toujours) en abondance
des céréales, des légumes et des fruits.

-->>> troisième raison :
Sur la route des échanges entre Orient et Occident,
la Lydie développa le commerce et semble avoir été
l'inventrice de la monnaie.

-->>> quatrième raison :
la politique de conquêtes du roi Crésus,
qui étendit son royaume sur la plus grande partie de l'Asie Mineure,
mais se heurta finalement à plus fort que lui : Cyrus le grand et l'empire perse.


Après la défaite de Crésus face aux Perses en 547 av. J.C.,
la Lydie devint une province (satrapie) du vaste empire perse,
mais Sardes resta une très importante ville, une sorte de "capitale de l'ouest".
Cette période perse dura plus de deux siècles, de 547 à 334 av. J.C.
En 334, Alexandre conquit Sardes, et ses successeurs furent maîtres de la ville,
qui après avoir été lydienne puis perse, se mit à vivre "à la grecque",
sous la dépendance des rois hellénistiques :
parmi eux, et pour simplifier,
je citerai seulement Antigone le Borgne, Antiochos III, et les rois de Pergame.
Mais quand le dernier roi de Pergame, Attale III, légua son royaume à sa mort à Rome,
en 133 av. J.C., une nouvelle phase de prospérité s'ouvrit pour Sardes.
Après le terrible séisme de 17 apr. J.C., elle fut reconstruite par Tibère,
puis embellie au cours des siècles suivants par les empereurs romains.

Les vestiges les plus spectaculaires que l'on peut voir à Sardes sont d'époque impériale.
Ce sont le gymnase,

gymnase-Sardes gymnase Sardes Gymnase Sardes


  la très grande synagogue, qui occupa à partir du IIIe s. apr. J.C. un espace du gymnase,

 synagogue-Sardes      synagogue-Sardes


et, sur les premières pentes de la montagne, les vestiges du temple d'Artémis,

temple d'Artemis

qui ne sont pas moins imposants,
et vous pouvez juger de la taille des colonnes d'après celle du visiteur :

colonnes_Artemis



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ecailles l'inscription ecailles

Celle que je vais vous présenter est gravée dans ce temple d'Artémis.
Elle a été découverte en 1910 par une équipe américaine.

plan-temple Artemis

La voici de loin, sur ce qui reste de l'un des murs intérieurs du temple :

mur de l'inscription

et de plus près, sur deux colonnes.
Celle de gauche :

Mnesimachos-Colonne 1

puis celle de droite :

Mnesimachos-Colonne 2

Pour lire commodément le texte,
utilisez le zoom et les flèches de déplacement sous l'image,
ou bien cliquez et déplacez le pointeur,
comme vous le feriez dans les images de Google Maps :

Première colonne :


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Transcription :


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   [— — —  c.36—   — —] ἐπερωτήσαντος Χαιρέο[υ ․․]ε[․․․․․]ω[․․․․․․]εσε[․c.2․]
     [- - - - - - - - -]ς καὶ ὕστερον ἐπέκρινέ μοι τὸν οἶκον Ἀντίγονος· ἐπειδὴ νῦν οἱ νεωποῖαι τὸ χρυσίον τῆς
     [παρακαταθή]κ̣ης τὸ τῆς Ἀρτέμιδος ἀπαιτοῦσιν παρ’ ἐμοῦ, ἐγὼ δὲ οὐκ ἔχω πόθεν ἀποδώσω αὐτοῖς, ἔστι οὖν
     [τὸ καθ’ ἓν το]ῦ οἴκου κῶμαι αἵδε <αἳ> καλοῦνται Τοβαλμουρα κώμη ἐν Σαρδιανῶι πεδίωι ἐν Ἴλου ὄρει· προσκύρουσιν δὲ
5.   [πρὸς τὴν κώ]μ̣ην ταύτην καὶ ἄλλαι κῶμαι ἣ καλεῖται Τανδου καὶ Κομβδιλιπια, φόρος τῶν κωμῶν εἰς τὴν Πυθέου
     [․․․․․․ χ]ιλιαρχίαν τοῦ ἐνιαυτοῦ χρυσοῖ πεντήκοντα· ἔστι δὲ καὶ κλῆρος ἐν Κιναροα πλησίον Τοβαλμουρα,
     [φόρος το]ῦ̣ ἐνιαυτοῦ χρυσοῖ τρεῖς· ἔστι δὲ καὶ ἄλλη κώμη Περιασασωστρα ἐν Μορστου ὕδατι, φόρος εἰς τὴν
     [․․․․․․․․]αρίου χιλιαρχίαν τοῦ ἐνιαυτοῦ χρυσοῖ πεντήκοντα ἑπτά· ἔστι δὲ καὶ <ἐν> Μορστου ὕδατι κλῆρος
     ἐν Να̣γριοα, φόρος εἰς τὴν Σαγαρίου Κορειδος χιλιαρχίαν χρυσοῖ τρεῖς ὀβολοὶ χρυσίου τέσσαρες· ἔστι δὲ
10.          καὶ ἄλλη κώμη ἐν Ἀττούδδοις ἣ καλεῖται Ἴλου κώμη, φόρος τοῦ ἐνιαυτοῦ χρυσοῖ τρεῖς ὀβολοὶ χρυσίου τρεῖς·
     ἐκ πασῶν οὖν τῶν κωμῶν καὶ ἑκ τῶν κλήρων καὶ τῶν οἰκοπέδων προσκυρόντων καὶ τῶν λαῶν πανοικίων
     σὺν τοῖς ὑπάρχουσιν καὶ τῶν ἀγγείων τῶν οἰνηρῶν καὶ τοῦ φόρου τοῦ ἀργυρικοῦ καὶ τοῦ λητουργικοῦ καὶ τῶν
     ἄλλων τῶν γινομένων ἐκ τῶν κωμῶν καὶ χωρὶς τούτων ἔτι πλέον, τῆς διαιρέσεως γενομένης,
     ἐξαίρημα ἔλαβεν Πύθεος καὶ Ἄδραστος ἐν Τβαλμουροις αὐλήν, καὶ ἔξω τῆς αὐλῆς εἰσιν οἰκίαι τῶν
15.                              λαῶν καὶ τῶν οἰκετῶν καὶ παράδεισοι δύο σπόρου ἀρταβῶν δεκαπέντε, καὶ ἐν Περιασασωστροις
     οἰκόπεδα σπόρου ἀρταβῶν τριῶν καὶ παράδεισοι σπόρου ἀρτα<β>ῶν τριῶν καὶ οἰκέται οἱ κατοικοῦντες
     ἐν τούτωι τῶι τόπωι, ἐν Τβαλμουροις Ἔφεσος Ἀδράστου, Καδοας Ἀδράστου, Ἡρακλείδης Βελετρου,
     Τυιος Μανεου Καΐκου, ἐν Περιασασωστροις οἱ κατοικοῦντες Καδοας Αρμανανδου, Ἄδραστος Μανεου


Traduction :
( C'est délibérément que j'ai gardé dans ma traduction certains mots en transcription directe du grec,
me réservant de m'en expliquer plus loin)


Il manque tout le début, dont je restitue arbitrairement deux lignes, mais il devait y en avoir davantage.
[...] après la demande de Chairéas, [...]
ensuite Antigone m'a attribué le domaine. Puisque les néopes me réclament
l'or reçu en dépôt appartenant à Artémis, mais que je n'ai pas les moyens de leur rendre cette somme,
voici donc de quoi est constitué mon domaine :
- les villages ainsi nommés : les Tobalmoura qui forment un village dans la plaine de Sardes sur la colline d'Ilos,
et, rattachés à ce village, d'autres villages, appelés Tandou et Kombdilipia ;
le phoros (payé) par ces villages à la chiliarchie de Pythéos fils de [...] est de 50 chrysoi par an ;
- il y a aussi un lot de terre à Kinaroa près des Tobalmoura, pour lequel le phoros annuel est de 3 chrysoi ;
- il y a également un autre village, les Périasasôstra, dans l' "eau" du Morstos (ou Morstas, ou Morstès),
le phoros (payé) à la chiliarchie de [...] fils de [...]arios étant de 57 chrysoi par an ;
- il y a aussi dans l' "eau" du Morstos un lot de terre à Nagrioa,
le phoros (payé) à la chiliarchie de Sagarios fils de Koreis étant de 3 chrysoi et 4 oboles d'or ;
- il y a encore un autre village dans les Attoudda, nommé village d'Ilos,
pour lequel le phoros annuel est de 3 chrysoi et 3 oboles d'or.
De tous ces villages et des lots de terre et des oikopeda qui s'y rattachent
et des laoi et leur famille avec leurs biens et des jarres de vin et du phoros en argent et en travaux
et de tous les autres produits des villages et d'encore davantage hormis cela,
une fois le partage fait, Pythéos et Adrastos ont reçu en part réservée :
dans les T(o)balmoura, une ferme, et en dehors de celle-ci les maisons des laoi et des oikétai
et deux paradeisoi nécessitant 15 artabes de semence,
et dans les Périasasôstra, des oikopeda nécessitant 3 artabes de semence,
et des paradeisoi nécessitant trois artabes de semence, ainsi que les oikétai demeurant sur place :
- dans les T(o)balmoura, Ephésos fils (ou esclave) d'Adrastos, Kadoas fils (ou esclave) d'Adrastos,
Hérakleidès fils (ou esclave) de Bélétros,
Tuios fils (ou esclave) de Manès fils de Kaïkos,
- et dans les Périasasôstra, les résidents Kadoas fils (ou esclave) d'Armanandos,
Adrastos fils (ou esclave) de Manès, [...]




Deuxième colonne :


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Transcription :


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  [— — —c.16— — — μηθ]ὲ̣[ν ἐξέστω μή]τ̣ε̣ ἐμοὶ μήτ̣ε̣ [τοῖς ἐμοῖς ἐκγόνοις μήτ]ε̣ [— —c.10— —]
     μήτε ἄλ<λ>ωι μηθενὶ μηκέτι ἀπολύσασθαι· καὶ ἐάν τις ἐμποιῆται ὑπέρ τινος τῶν κωμῶν ἢ τῶν κλήρων
     ἢ ὑπὲρ τῶν ἄλλων τῶν ὧδε γεγραμμένων ἐγὼ καὶ οἱ ἐμοὶ ἔκγονοι βεβαιώσομεν καὶ τὸν ἀντιποιούμενον
     ἐξαλλάξ<ο>μεν, ἐὰν δὲ μὴ βεβαιώσωμεν ἢ παρὰ τὴν συγγραφὴν παραβαίνωμεν τήνδε γεγραμμένην
5    ἐπ[ὶ] τὰς κώμας καὶ τοὺς κλήρους καὶ τὰ χωρία καὶ τοὺς οἰκέτας ἅπαντας εἰς τὰ Ἀρτέμιδος ἐχέτωσαν,
     καὶ οἱ νεωποιοὶ ὑπὲρ τούτων ἐκδικαιούσθωσαν καὶ κρινέσθωσαν πρὸς τοὺς ἀντιποιουμένους
     ὡς ἂν βούλωνται, καὶ ἐγὼ Μνησίμαχος καὶ οἱ ἐμοὶ ἔκγονοι ἀποτείσομεν εἰς τ<> Ἀρτέμιδος
     χρυσοῦς δισχιλίους ἐξακοσίους πεντήκοντα, καὶ ὑπὲρ τῶν γενημάτων καὶ τῶν καρπῶν
     ἐὰν μὴ καρπεύσωνται ἐν ἐκείνωι τῶι ἔτει εἰς τὰ Ἀρτέμιδος ὁπόσου οὖν χρυσίου ἄξια ἦι καὶ ταῦτα
10   ἀποδώσομεν, καὶ τῶν οἰκοδομη<μά>των καὶ φυτευμάτων τῶν τῆς Ἀρτέμιδος ἢ ἄλλο τι ὅ τι ἂν ποιήσωσιν
     ὅσου χρυσίου ἄξια ἦι τὴν ἀξίαν ἀποδώσομεν, μέχρι δὲ ὅσου μὴ ἀποδῶμεν ἔστω ἡμῖν ἐν παρακαταθήκηι
     τέως ἂν ἅπαν ἀποδῶμεν· ἐὰν δὲ τὰς κώμας ἢ τοὺς κλήρους ἢ τῶν ἄλλων τι τῶν ὑποκειμένων
     ἐὰν ὁ βασιλεὺς ἀφέληται τῆι Ἀρτέμιδι διὰ Μνησίμαχον, τὸ χρυσίον οὖν τὸ ἀρχαῖον τὴν παρακαταθήκην
     τοὺς χιλίους τριακοσίους εἰκοσιπέντε χρυσοῦς αὐτοὶ παραχρῆμα ἀποδώσομεν εἰς τὰ Ἀρτέμιδος
15  ἐγὼ Μνησίμαχος καὶ οἱ ἐμοὶ ἔκγονοι, καὶ τῶν οἰκοδομημάτων καὶ φυτευμάτων τῆς Ἀρτέμιδος
     ὅσου ἂν ἄξια ἦι τὴν ἀξίαν ἀποδώσομεν παραχρῆμα, καὶ ὑπὲρ τῶν γενημάτων καὶ τῶν καρπῶν
     ἐὰν μὴ καρπεύσωνται ἐν ἐκείνωι τῶι ἔτει εἰς τὰ Ἀρτέμιδος ὁπόσου ἂν χρυσίου ἄξια ἦι καὶ ταῦτα
     ἀποδώσομεν, μέχρι δὲ ὅσου μὴ ἀποδῶμεν ἔστω ἐν ἐμοὶ ἐν παρα<κα>ταθήκηι καὶ ἐν τοῖς ἐμοῖς ἐκγόνοις
     ἕως ἂν ἅπαν ἀποδῶμεν εἰς τὰ Ἀρτέμιδος· καὶ ἡ πρᾶξις τέως ἂν ἐξ ἡμῶν μήπω γένηται ἐξεῖναι.




Traduction :

Il manque également tout le début de cette deuxième colonne.
[...] qu'il ne soit plus permis en rien, ni à moi, ni à mes descendants, ni à [...],
ni à personne d'autre de racheter ces biens.

Et si quelqu'un fait une réclamation concernant l'un de ces villages,
l'un des lots de terre ou les autres biens inscrits ci-dessus,
moi et mes descendants nous nous porterons garants et nous évincerons le contrevenant.

Si nous ne nous portons pas garants ou si nous enfreignons le contrat écrit ici-même
touchant aux villages, aux lots de terre, aux champs et à tous les oikétai,
qu'ils restent attachés à Artémis et que les néopes entament une procédure en justice
et condamnent les contrevenants comme ils le jugeront bon,
et moi et mes descendants nous paierons au trésor d'Artémis 2650 chrysoi,
et pour les produits du sol et les fruits,
si le trésor d'Artémis n'a pas pu profiter des récoltes cette année-là,
nous l'indemniserons de la somme d'or que cela aurait représenté.
Et nous l'indemniserons aussi de la somme d'or correspondant à la valeur des bâtiments
et des plantations et de toute autre amélioration éventuellement réalisée par (le temple d') Artémis.
Et tant que nous n'aurons pas remboursé nous resterons responsables de ce dépôt
jusqu'à complet remboursement.

Si jamais le roi, à cause de Mnèsimachos, reprend à Artémis
les villages ou les lots de terres ou autre chose parmi les biens garantis,
alors nous-mêmes, moi et mes descendants, nous rembourserons immédiatement
au trésor d'Artémis la somme d'or initiale du dépôt, soit 1325 chrysoi,
et
nous l'indemniserons immédiatement aussi de la somme d'or correspondant à la valeur des bâtiments
et des plantations et de toute autre amélioration éventuellement réalisée par (le temple d') Artémis.
Et
pour les produits du sol et les fruits,
si le trésor d'Artémis n'a pas pu profiter des récoltes cette année-là,
nous l'indemniserons de la somme d'or que cela aurait représenté.
Et
tant que nous n'aurons pas remboursé nous resterons, moi et mes descendants,
 responsables
de ce dépôt jusqu'à complet remboursement au trésor d'Artémis.
Que l'action en recouvrement soit légale aussi longtemps que ce remboursement
n'aura pas été effectué par nous.




ecailles
ecailles Commentaire ecailles

Pourquoi vous présenter cette inscription ?
D'abord parce qu'elle est très lisible,
  puisque sa gravure, très sobre et régulière, est presque partout parfaitement conservée.
Mais elle a suscité de vives controverses, et fait couler beaucoup d'encre,
ce dont vous pouvez avoir une idée si vous vous plongez dans les ouvrages que j'ai cités dans ma bibliographie.
Problème de datation, débats sur le sens de certains termes, statut des domaines royaux et de leurs habitants,
rôle des sanctuaires dans l'économie, interprétation du fond de l'affaire...
Très modestement, je présenterai seulement quelques remarques,
laissant le visiteur plus exigeant se plonger dans la bibliographie.

---> La toponymie :

Les noms des villages et autres toponymes sont asiatiques,
et donc pour des Grecs et pour nous, bien exotiques.
Ainsi un village s'appelle Tobalmoura, ou "les Tobalmoura", puisqu'il est au neutre pluriel :

Tobalmoura

écrit aussi par deux fois avec suppression du premier O, dans l'expression :

enTbalmourois,

Un autre village est Périasasôstra, ou "les Périasasôstra" :

Periasasostra

Un autre encore, Kombdilipia :

Kombdilipia

et Tandou :

Tandou

Il y a aussi le lieu-dit Kinaroa :

Kinaroa

et Attoudda ou "les Attoudda" (au neutre pluriel), dans l'expression :

enAttouddois

Mais il n'a pas été possible jusqu'à maintenant de localiser ces villages et lieux-dits,
qui gardent ainsi pour nous leur allure mystérieuse.


---> Le sens des mots utilisés pour désigner les personnes :

retour au texte-1- la "parakatathèkè" (ligne 3 de la colonne 1 et lignes 11, 13 et 18 de la colonne 2) : dépôt d'une certaine somme entre les mains d'un emprunteur, qui devra par la suite rendre ladite somme sans intérêt.
retour au texte-2- le "phoros" (lignes 5, 7, 9, 10 et 12) : le tribut que les villages situés sur des terres royales devaient payer annuellement au roi, à l'époque perse puis sous les souverains macédoniens. Même lorsque le roi "offrait" un domaine à l'un de ses fidèles, la population locale continuait à verser chaque année le tribut au roi. Ce tribut était établi en fonction de la valeur agricole des terres en question. Pour Mnèsimachos, c'est une façon de montrer la valeur des domaines dont il cède la jouissance au sanctuaire d'Artémis de Sardes.
retour au texte-3- les "chrysoi" (lignes 6, 7, 8, 9, 10) : monnaie d'or : dariques perses ou statères d'or, d'environ 8,5 grammes d'or. L'obole d'or, rarement attestée, devait valoir 1/12e du chrysos.
retour au texte-4- la "chiliarchie" (lignes 6, 8 et 9) : désignant étymologiquement le commandement d'un bataillon de 1000 hommes, ce terme était utilisé par le pouvoir perse pour désigner un district, dont la population devait payer tribut pour entretenir cette garnison de 1000 hommes. Notre texte montre qu'il a subsisté quelque temps après la conquête macédonienne. Remarquons que le domaine de Mnèsimachos ne devait pas être d'un seul tenant, puisque ses villages payaient tribut à trois chiliarchies différentes.
retour au texte-5- le "klèros" (lignes  6, 8, 11 de la colonne 1, et lignes  2, 5 et 12 de la colonne 2) : à l'origine, ce mot désigne un lot de terre attribué à des militaires. Puis un lot de terre, sans spécification.
retour au texte-6- "en Morstou udati" (lignes 7 et 8) : difficile de savoir si cette "eau" est une rivière, un lac ou une zone de marais... On n'a pas localisé le toponyme Morstos, Morstas ou Morstès.
retour au texte-7- les "oikopeda" (lignes 11 et 16) : certains traduisent "terrains à bâtir". Mais je trouve que cela ne va pas avec l'évaluation en semences.
retour au texte-8- les "laoi" et les "laoi panoikioi" (lignes 11 et 15) : on a traduit "laoi" de diverses façons : paysans dépendants, gens du village, certains ont même parlé de serfs mais cette traduction a été rejetée par les commentateurs les plus récents, qui souvent préfèrent garder le mot grec. Et les "laoi panoikioi" sont ces mêmes gens avec toute leur famille.
retour au texte-9- l' "exairèma" (ligne 14) : ce qui a été mis à part, mais en l'absence du début du texte, il est difficile de préciser.
retour au texte-10- les "oikétai" (lignes 15 et 16 de la colonne 1, et ligne 5 de la colonne 2) : esclaves, mais de quelle condition exactement ? domestiques ? En tout cas ils semblent attachés à une terre où ils demeurent.
retour au texte-11-les "paradeisoi" (lignes 15 et 16) : ce ne sont sûrement pas les fameux parcs royaux perses, mais des jardins, potagers ou vergers, bien cultivés et peut-être enclos (?).
retour au texte-12- les "artabes" de semence (lignes 15 et 16) : l'artabe est une mesure perse de capacité valant 56 litres. Dire qu'un terrain nécessite tant d'artabes de semence, c'est une façon d'indiquer non pas exactement sa surface, mais sa valeur agricole.
Il semble qu'en moyenne dans l'Antiquité on semait 200 litres par hectare, soit un peu moins de 4 artabes. Ce qui nous donne ici environ 4 hectares pour les deux premiers paradeisoi (ce qui n'est pas rien !), et un peu moins d'1 hectare pour les terrains ainsi que pour les paradeisoi qui suivent.
retour au texte-13- "à cause de Mnèsimachos", ou "à travers Mnèsimachos" : le roi pourrait retirer sa faveur à Mnèsimachos, ce qui entraînerait pour Artémis la perte de l'usufruit du domaine.



---> la valeur du domaine de Mnèsimachos :
Elle est estimée non pas par des surfaces, mais de façon pour nous indirecte :
- par le phoros dû au roi,
- par les paysans qui le cultivent (la force de travail),
- et pour les petites parcelles, par la quantité de semence à utiliser.
Ce devait être un grand domaine, ou sans doute plusieurs domaines,
que le roi avait attribué(s) en "dôréa" à l'un de ses officiers supérieurs,
suivant en cela la tradition perse.
Rappelons que le bénéficiaire pouvait à tout moment être révoqué par le roi
et remplacé par quelqu'un d'autre,
qu'il ne jouissait que des produits de ce(s) domaine(s),
et que les villages du domaine continuaient à payer leur tribut (phoros) au roi.


---> la datation :
Cette inscription a tout d'abord été datée par ses premiers éditeurs des environs de 200 av. J.C.,
époque où fut entreprise la reconstruction du temple,
qui d'ailleurs semble n'avoir jamais été terminée.
Mais ce contrat a dû être rédigé initialement vers la fin du IVe s. av. J.C.
En effet,

- Il est question, au tout début, d'une attribution de terres,
à la façon dont, avant la conquête macédonienne,
les rois de Perse "offraient" à leurs "amis" des domaines royaux.
Mais ici c'est un Antigone, qui n'a pas encore le titre de roi (ligne 2),
qui "offre" des domaines à un de ses fidèles et méritants sujets (colonne I, ligne 2).
Or Antigone le Borgne ne prend le titre de roi qu'en 306 av. J.C.
Je remarque cependant qu'à la ligne 13 de la colonne 2 un "basileus" est évoqué.

- ensuite le grand nombre de noms indigènes (et non grecs),
ainsi que le terme "chiliarchie", désignant une subdivision militaro-administrative,
terme usuel dans l'empire perse,
font penser qu'on est encore proche de l'époque de la domination perse.

Mais la gravure telle qu'elle nous apparaît semble dater des environs de l'an 200 av. J.C.,
et elle est exécutée sur le mur du temple reconstruit vers cette époque.
Il s'agirait donc d'une regravure, un siècle plus tard,
qui pourrait avoir été jugée nécessaire par les responsables du temple
en raison même des conditions du contrat.


---> Le fond de l'affaire :

Les lacunes au début des deux colonnes rendent difficile, voire impossible, de savoir le fin mot de l'affaire.
Mnèsimachos est à ce jour totalement inconnu par ailleurs.
Pourquoi s'est-il vu attribuer par Antigone ces domaines
après intervention (positive ou négative ?) d'un certain Chairéas ?
Pourquoi a-t-il eu besoin d'emprunter au temple d'Artémis cette somme ?
Et pourquoi sans intérêt ?
Pourquoi les naopes lui réclament-ils la somme ?
Qui sont ces deux personnages, Pythéos et Adrastos,
qui ont eu une part réservée, lors d'un partage ?
Quel est le statut des "oikétai" ?

Ce qu'on comprend bien, c'est que Mnèsimachos inventorie tout ce que peut rapporter ce domaine,
afin que le temple d'Artémis y trouve son compte.
Mais aux yeux du roi, il est toujours le bénéficiaire de cette "dôrea",
du moins jusqu'à nouvel ordre.
C'est pourquoi les gestionnaires du trésor d'Artémis,
qui deviennent seulement usufruitiers du domaine,
ont intérêt à garder bien en vue les clauses de ce contrat,
car un successeur du roi Antigone pourrait changer d'avis
et offrir ce domaine à quelqu'un d'autre.
D'où la regravure, au moins cent ans plus tard !


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ecailles  Bibliographie utilisée  ecailles

- W.H.Buckler et D.M.Robinson, Sardis VII, 1932 ;
- E. Cavaignac, Population et Capital dans le monde méditerranéen antique, 1923, p.122-128 ;
- P.Briant, in Actes du colloque 1971 sur l'esclavage, p.103 ;
- P. Debord, Aspects sociaux et économiques de la vie religieuse dans l'Anatolie gréco-romaine, 1982, p. 244-251 ;
- R. Descat, "Mnesimachos, Hérodote et le système tributaire achéménide", in REA 1985, p.97-112 ;
- R.A. Billows, Kings and Colonists, 1995, p. 138-140 ;
- Fanoula Papazoglou, Laoi et Paroikoi, 1997, p.41-47 ;
- A. Davesne et G. Miroux, L'Anatolie, la Syrie, l'Egypte : de la mort d'Alexandre au règlement par Rome des affaires d'Orient, 2004, p. 211-215.


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