initiation à l'épigraphie grecque par Claire Tuan, "épi"  de Tanagra.

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les "épi" de Tanagra.


Autant le dire tout de suite,
 je ne vais pas vous parler ici des moissons dans la campagne béotienne,
où d'ailleurs les champs de coton ont maintenant remplacé très largement les champs de blé d'autrefois !

Je vais vous faire partager la découverte que j'ai faite, en janvier 2009,
d'un très beau petit musée archéologique, celui de Schimatari.
Il est très facile d'accès,
puisqu'une sortie de l'autoroute d'Athènes à Thessalonique porte ce nom, à environ 60 km de la capitale.
(voir la carte)

Il est tout proche de Tanagra, et présente de nombreux objets archéologiques de cette antique cité béotienne.

Entrons dans la cour du musée.

la cour du musée de Schimatari

 A droite et à gauche, sous des auvents,
sont alignés des monuments funéraires d'époques variées,
allant du VIe s. avant J.C. jusqu'au IIe s. apr. J.C.
Jusqu'ici, rien de très surprenant.

Ce qui l'est déjà un peu plus, c'est la variété de ces monuments,
tantôt tables d'offrandes ou petits autels en poros ocre,
tantôt stèles à fronton à trois pointes, tantôt stèles nues de pierre gris sombre,
et d'autres formes encore, dont je parlerai peut-être dans une autre page.

Approchons-nous, faisons le tour de cette cour,
entrons aussi dans le musée où chaque objet est remarquablement éclairé et mis en valeur,
et lisons ces inscriptions funéraires :

1monument d'oionoa Sorte d'autel à degrés,
du VIe s. av. J.C.
Sur la marche centrale on lit,
écrit de droite à gauche :

epioionoa-inversé

que nous lirons plutôt ainsi :

epi oionoa
2Laiobotas table d'offrandes,
de la fin du VIe ou du début du Ve s. av. J.C.,
sur le flanc de laquelle se lit le nom du défunt :

epi laiobota
3kalithesis sans doute est-ce un autel à degré
comme le n°1, et c'est le seul
sur lequel on lit une phrase complète,
qui "fait parler" le monument de la défunte :

epi kalithesidi emi
IG VII 595

L'éditeur a lu un rho là où manifestement
est écrit un sigma.
4charixena autel funéraire
datant de la fin du VIe
ou du début du Ve s. av. J.C.,
dont la face antérieure a été creusée,
et qui porte juste le nom de la défunte :

charixena

Que la première lettre ne vous trompe pas :
il s'agit bien du khi,
mais dans l'alphabet béotien
dont je vous parle un peu plus loin.
5anphalkes sans doute fragment d'un autel
ou d'une table d'offrandes,
datant de la fin du VIe
ou du début du Ve s. av. J.C.,
portant l'inscription  :

ep' Anphalkei
IG VII 591
 Un célèbre monument funéraire tanagréen,
qui se trouve au musée national d'Athènes,
a été élevé par un Amphalkès
pour ses deux fils Dermys et Kitylos (IG VII 579).
6nausidi
autel ou table d'offrandes,du VIe
ou du début du Ve s. av. J.C.,
portant une inscription peut-être incomplète :

epi Nausidi
IG VII 3504
7eugitonidas autel funéraire du VIe
ou du début du Ve s. av. J.C.,
portant entre deux lignes un nom,
écrit de droite à gauche :

eugitonidas
IG VII 3508
8stele de Doro inscription de Doro

stèle beaucoup plus récente que les précédentes,
puisqu'elle date du Ier ou du IIe s. apr. J.C.
La défunte est représentée en suivante de Dionysos,
avec la peau de panthère sur son épaule gauche,
et une torche à la main.
Au dessus d'elle est écrit :


epi Doro Metros
IG VII 1581
9stele de Tycharo inscription de Tycharo

Comme la précédente,
cette stèle date du Ier ou du IIe s. apr. J.C.
Cette fois les deux personnages
sont en costume de type romain.

Sur le bandeau du fronton, on lit :

epi Tycharo Stratonos
IG VII 1639


Nous constatons que presque tous ces monuments,
quelle que soit leur forme et leur date,
sauf les numéros 4 et 7,
portent une inscription qui commence par la préposition
"épi", suivie du nom du défunt au datif.

Etrange, et ce n'est pas ce que nous avons pu voir ailleurs en Grèce,
que ce soit au Céramique d'Athènes, à Dion, à Thessalonique ou à Volos,
pour ne prendre que quelques lieux que je vous ai présentés sur ce site.
Le nom du défunt ou de la défunte est le plus souvent au nominatif,
ou bien au vocatif s'il est accompagné de la salutation : "khairé".

Mes pérégrinations et une recherche sur la base épigraphique du Packard Humanities Institute
montrent que cette formule : épi + datif est assez particulière à Tanagra,
et ne se rencontre que rarement ailleurs :
quelques cas en Béotie : à Chéronée, à Thespies,
quelques cas au musée d'Amphissa, provenant du nord de la Phocide, donc en contact avec la Béotie,
 et des occurrences un peu plus nombreuses dans la cité de Tlos, en Lycie.

Que signifie exactement cette préposition "épi" ?
Comme beaucoup de prépositions du grec ancien,
elle peut précéder un complément à l'accusatif, au génitif ou au datif,
et ces diverses combinaisons permettent d'exprimer des nuances de sens assez variées.
En ce qui concerne "épi" + datif, le sens premier est "sur".
Et en y réfléchissant très concrètement,
ces pierres sont bien des indicateurs, pour les vivants,
que sous elles se trouve le corps du défunt rappelé au souvenir des vivants.
On pourrait donc traduire une formule comme :
epi kalithesidi emi
par : Je suis sur (la tombe de) Kalithesis.

et les formules sans verbe comme :
ep' Anphalkei
par : (monument élevé) sur (la tombe d') Amphalkès.

..., même si on a pu prendre l'habitude de traduire cette formule,
en français par "à ", en anglais par "for".
Mais l'intention (pour, à) s'exprime plus simplement en grec par le datif seul.




Quelques observations sur l'alphabet béotien.

Parmi les neuf pierres présentées ci-dessus, deux (n°4 et n°7) ne comportent pas la préposition "épi",
mais je les ai choisies pour deux raisons :
d'abord pour montrer qu'aux mêmes époques on trouvait à Tanagra des inscriptions funéraires,
sur les mêmes genres de monuments, sans cette fameuse préposition,
et ensuite parce qu'elles me permettaient de montrer davantage d'exemples
de l'alphabet local ("épichorique", disent les savants),
ainsi que de l'écriture "rétrograde",
c'est-à-dire de droite à gauche, qui disparut ensuite à l'époque classique :
voir le n°1 et le n°7.

Je vous laisse d'abord découvrir par vous-même quelques caractéristiques
de cet alphabet épichorique béotien du VIe ou du début du Ve s. av. J.C. :

ex.1 ep'anfalkei  ep' Anphalkei

ex.2 epi kalithesidi emi epi kalithesidi emi

ex.3 epi laiobotai  epi laiobota

ex.4 eugitonidas-inverse  eugitonidas (inscription retournée)

ex.5 charixena  charixena



Faisons un petit bilan.
Certes il ne faut pas oublier qu'à l'époque archaïque il existe des variantes pour chaque lettre suivant les cités.
Nous dirons donc seulement que sur ces 9 monuments funéraires archaïques trouvés à Tanagra,
les lettres apparaissent ainsi :


>>> alpha1beotien L'alpha est très penché à gauche, avec parfois alpha2beotien la branche de droite cassée.
              Dans l'ex.4, s'il penche à droite, c'est parce que j'ai retourné l'inscription.
>>> betabeotien le bêta est plus grand que les autres lettres, et les deux boucles ne se touchent pas.
>>> gammabeotien le gamma a la forme qu'empruntera le lambda à l'époque classique.
>>> deltabeotien le delta ressemble bien à notre D.
>>> epsilonbeotien l'epsilon a sa branche verticale qui dépasse légèrement en dessous,
            et ses 3 autres branches de même longueur et souvent descendant vers la droite.

>>>          l'êta n'existe pas encore pour noter un E long.
>>> thetabeotien le thêta a une croix dans le cercle.
>>> kappabeotien le kappa a ses petites branches assez courtes.
>>> lambdabeotien le lambda ressemble un peu à notre L, mais avec la petite branche remontant à droite.
>>> mubeotien le mu est très ouvert.
>>> ksibeotien le ksi a une branche verticale et l'autre horizontale.

>>>         l'omicron est un petit rond au dessus de la ligne.

>>>         le pi a sa branche droite très courte.
>>> rhobeotien le rho ressemble à notre R, il a la petite branche en bas à droite.
>>> sigmabeotien le sigma n'a que trois branches, et il ressemble plutôt à notre Z.
>>> upsilonbeotien l'upsilon a tantôt la forme de notre V,
      upsilon2beotien tantôt une barre verticale sur laquelle se branche un oblique à droite.
>>> phibeotien le phi est un rond avec une barre verticale médiane qui ne dépasse pas du rond.
>>> khibeotien le khi ressemble à ce que sera à l'époque classique le psi.

>>>           pas d'ôméga encore pour noter le O long.




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