initiation à l'épigraphie grecque par Claire Tuan : au pied de l'Olympe.
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le jardin du musee de Dion

Au pied de l'Olympe

mosaique de Dionmosaique de Dion

Le grand sanctuaire de Dion se trouve en Piérie, c'est-à-dire dans la partie la plus méridionale
de la Macédoine antique, à peu de distance de la mer, au pied de l'Olympe.
On y a aménagé un grand parc archéologique, ainsi qu'un musée.
La photo ci-dessus a été prise en sortant du musée, et vous apercevez sur la gauche de l'allée,
derrière une rangée d'arbres, les pierres portant
les huit premières inscriptions que je présente dans cette page.
Pour lire les deux dernières, nous monterons au premier étage du musée.

relief d'une stele funeraire de Dion
Il ne sera question ici que d'inscriptions sur des monuments funéraires,
de formes et d'époques variées.

Voici la première :

dans le jardin du musée, 1
SEG 52, 596,  vers 150-200 apr. J.C.
Cette inscription pose un problème de lecture,
malgré la netteté de la gravure.
En effet la suite :
 tesyntrophou
doit-elle être comprise : 
- comme l'article au datif suivi d'un nom au génitif ?
On voit souvent de ces confusions entre génitif
et datif dans des inscriptions funéraires,
mais beaucoup plus tardivement.
- ou bien comme une simple omission d'un sigma
par le graveur, à cause du sigma qui suivait ?
Je pencherais pour cette interprétation,
qui permettrait de comprendre amareines
comme le génitif d'un prénom Amareine,
construit sur le nom d'une tribu de Bactriane,
les Amareis.

Je propose donc comme traduction :
"Klaudia (a élevé la stèle funéraire)
d'Amareinè,
sa compagne,
en mémoire d'elle".

Ou bien :
"Klaudia (a élevé ce monument)
en mémoire d'Amareinè
sa compagne".



texte inscr 1

On a des parallèles pour "syntrophos",
par exemple cette inscription funéraire de Tychikè
à la mémoire de son compagnon Antylaos:
stele de Tychike
(I.Stratonikeia 1371)
Mais il est à remarquer que le mot est beaucoup
plus souvent utilisé comme nom propre
que comme nom commun désignant
le compagnon ou la compagne. Ainsi à Thasos :
syntrophos
(IG XII,8 481)

relief funeraire


la deuxième inscription dans le jardin
est un peu plus difficile à lire à cause des mousses sur la pierre,
mais ne pose pas de problème de compréhension.

jardin du musee, pierre n°2 jardin du musee, inscr 2
SEG 39:580 — règne d'Hadrien            
texte de l'inscr 2

traduction :
"Pour moi, Léôn,
 qui l'ai élevée,

Philippè a érigé cet autel,
m'accordant ainsi une bien grande
faveur pour mes menus services !"
remarque sur la formulation :
C'est Philippè qui a fait ériger l'autel,
et la phrase qu'elle a fait graver pourrait
sembler diminuer les mérites de  Leôn,
mais en réalité Philippè "fait parler" Leôn
et accentue encore de ce fait la modestie
et le dévouement de cet homme,
sans doute un esclave, qui a pris soin d'elle
pendant toute sa jeunesse.

remarques sur l'écriture : belle gravure,
apices, psi dépassant vers le haut,
êta dont la barre médiane
ne touche pas les deux jambages,
et notez les deux ligatures à la troisième ligne,
dont j'ai repassé en rouge le trait commun :

2ligatures


relief funeraire


La troisième inscription est très facile à lire :

vue pierre 3 inscr 3
texte de l'inscr 3
traduction :
A Markos Kornelios
Maximianos.
Markos Kornelios
Markellianos
(a fait ériger cet autel)

pour son frère

Les deux frères ont des noms
purement romains,
que l'on pourrait écrire ainsi :
Marcus Cornelius Maximianus
et Marcus Cornelius Marcellianus.

remarquez la gravure fine et régulière,
avec des lettres lunaires, et la forme du xi.

relief funeraire


Quatrième inscription :

pierre 4 inscr 4
texte inscr 4

traduction :
Hermogénès,
pour Noumènios
et Sunphérousa,
ses parents,
en souvenir.

remarque sur le sens des noms :
Hermogénès, qui est un nom assez courant,
signifie :  descendant (ou fils) d'Hermès,
 comme Diogénès = descendant (ou fils) de Zeus.
Voir d'autres noms "théophores" ici.
Noumènios = la nouvelle lune
Sunpherousa = celle qui est profitable.

Notez la graphie du mot KAI : KE, indice
du changement de la prononciation.
A l'époque où cette pierre a été gravée,
AI se prononçait donc déjà /e/
comme en grec moderne.

relief funeraire


La cinquième inscription se présente de façon très originale :

pierre 5 inscr 5
SEG 44:525 — entre 100 et 150 apr. J.C.                                             
Je n'ai photographié
que la face avant.
Il y a sur le côté gauche
une autre inscription
qui est une menace contre ceux
qui violeraient la tombe.
La pierre a été trouvée en remploi
dans le rempart de Dion.

L'épigramme est disposée,
ce qui est tout à fait exceptionnel,
en colonnes verticales
d'une lettre de large chacune.
Elle se compose de quatre vers,
chacun étant réparti
sur deux colonnes successives,
mais que j'ai transcrits ci-contre
horizontalement.

L'inscription est partiellement bilingue.
On imagine que le poète Cavafy,
s'il l'avait connue,
aurait fait son miel d'une telle inscription.
Voir sa biographie,
et pour ceux qui lisent le grec,
 ses poèmes.

texte inscr 5

    traduction :
"Marcus Domitius Pyrilampès
a vécu 23 ans.

Moi qui aimais les chasses, et qui n'avais fait de tort à personne,
Intolérablement la terre de Macédoine s'est emparée de moi.
Si tu demandes mon nom, dis-moi en me hélant : "Salut, Pyrilampès,
Jeune homme dont la vie s'est finie bien trop tôt !"

Marcus Domitius Pyrilampès,
qui a vécu 23 ans."


relief funeraire


Voici la sixième inscription,
celle qui est surmontée du relief dont j'ai ponctué cette page :

pierre 6 inscr et relief 6

texte de l'inscr 6

 ma traduction :
Venouleios Eutychianos
à Aurelia Lykodenè (?)
son épouse,
en souvenir.
(monument érigé) à ses propres frais.
Si le sens de l'inscription est clair,
les noms de ces deux personnes m'ont posé
quelques problèmes, dont l'un n'est pas résolu.
Le nom de la première ligne est rare,
mais j'en ai trouvé deux autres attestations,
l'une à Thessalonique et l'autre en Thrace.
Eutychianos par contre est très courant,
il est en rapport avec l'idée du bonheur.
Aurelia est encore plus courant,
surtout après l'édit de Caracalla.
Mais le deuxième nom de cette Aurelia
reste pour moi mystérieux.
Je ne sais comment lire la dernière lettre
de la troisième ligne,
et aucun nom connu ne semble se terminer
par "-denè".
Toute aide serait la bienvenue.

relief funeraire


C'est sans difficulté que vous lirez maintenant
la septième inscription :

pierre 7 inscr 7
                                     SEG 52:597
texte inscr 7 traduction :
Lykos (fils) d'Epiktas
et Ailia Hymnis,
pour Adymos
leur enfant,
en souvenir.
 Salut à vous !


Notez la gravure très fine et nette,
les lettres lunaires,
et le jambage de droite des alpha, des lambda
et des delta qui dépasse en haut vers la gauche,
ainsi que le petit signe de ponctuation
au milieu de la cinquième ligne.

relief funeraire


voici la huitième et dernière inscription
de cette promenade dans le jardin du musée de Dion :

pierre 8 inscr 8
texte inscr 8

traduction :
Aurelios
pour sa chère femme
et ses enfants.
Salut, passant !
Remarquez que le graveur,
sans doute bien modeste
tout comme son commanditaire,
n'a pas su faire tenir son texte
dans le cadre.
Une seule ligature, assez maladroite aussi,
(P+E) à la dernière ligne.

La graphie témoigne de
l'évolution de la prononciation :
Aurilios pour Aurelios 
On voit que le phénomène de l'iotacisme,
c'est-à-dire l'évolution vers le son /i/
du êta et des anciennes diphtongues "ei" et "oi"
est déjà accompli.

Par ailleurs l'adjectif philo (chéri)
qu'on attendrait au féminin pour s'accorder
avec gynaiki (sa femme), est au masculin,
 peut-être pour englober aussi les enfants
(quant au genre, mais pas quant au nombre) ?

le jardin du musee de Dion


Nous allons finir cette promenade en entrant au musée,
très agréable et riche en belles pièces :

relief du musee de Dion petit bronze Dion

Dion statuette Dion relief d'Isis

Au premier étage, allons lire pour finir
deux inscriptions funéraires
dont la gravure est particulièrement bien conservée.

Voici la première :

stele musee Le relief reprend trois éléments qui sont
souvent associés avec l'idée de héros :
le cheval, l'arbre et le serpent.
Quant au bateau renversé,
il peut faire penser que la mort
des deux jeunes gens est dûe à un naufrage.

Les personnages figurés
évoquent bien la famille telle qu'elle
se présente dans l'épitaphe :
le père, la mère (assise et voilée, signe
qu'elle est une mère de famille respectable),
et les deux jeunes gens, en toge pour montrer
leur bonne éducation.
Le père semble être l'homme de droite,
habillé différemment des deux autres
et faisant un geste avec la main.
Que signifie son vêtement, et son geste ?



inscr musee 1
                                                   SEG 38:618
La deuxième édition de ce texte (SEG 48, 789)
 a corrigé Sirtios en Sergios,
 ce qui ne me convainc pas entièrement,
car les sigma sont tous très larges,
ce qui ne laisse pas assez de place
pour un epsilon et un rho,
et que faire de la barre haute du tau
devenu gamma ?
La gravure présente quelques maladresses :
le "-a" de "tekna" renvoyé à la ligne,
et de même pour le "su" de la fin.
texte inscr musee 1

traduction :
Dekmos Sirtios
Markos et Sestia
Maxima, de leur vivant, (ont fait représenter)
Gaios et Ortèsios, leurs enfants,
en héros. Salut ! - Et toi aussi, salut !


Cette inscription doit dater du 1er s. av. ou apr. J.C.

Les noms sont romains et correspondent à
Decimus, Sirtius, Marcus,
Sestia, Maxima, Caius et Hortensius.

La salutation finale en dialogue,
où le passant salue le mort
et où le mort répond à son salut,
est très fréquente en Macédoine.
Elle est souvent suivie de l'expression :
tis pot ei.
= "qui que tu sois".


 et enfin cette dernière ;

stele musee Dion 2 inscr musee Dion 2
texte inscr musee Dion 2
SEG 52:600


traduction :
Ce tombeau,
Sabeinos et Neikandra
l'ont fabriqué ensemble,
de leurs propres épaules,
en se souvenant de la mort.

La formulation est intéressante :
D'abord par cette expression unique :
 "Ils l'ont fait de leurs propres épaules",
qui est renforcée par la représentation
des deux outils.
Ensuite par l'expression
"se souvenant de la mort"
,
qu'on pourrait gloser ainsi :
 "en prévision de leur mort",
ou : "en pensant à leur mort future",
ou bien "sachant qu'ils mourront un jour".
Je ne connais pas d'autre exemple de cette formule.
D'habitude ceux qui faisaient construire
leur monument funéraire de leur vivant
l'indiquaient avec le participe
zon, zontes, zosa
= "de son (de leur) vivant".

Cet autel funéraire doit dater
de la fin du IIe ou début du IIIe s. apr. J.C.
L'orthographe est "conforme",
mais le verbe à l'aoriste a déjà perdu son augment.





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