A l'heure où
j'écrivais
cette page (novembre 2009),
cette inscription n'était pas
visible des visiteurs de Delphes.
Je l'avais photographiée auparavant plusieurs années de suite,
sur le bord du
chemin qui va du musée vers l'entrée du site,
mais en janvier 2009 elle avait disparu, ainsi que la plupart de
pierres inscrites qui voisinaient.
Il s'agissait de préparer la création d'une galerie épigraphique au musée de Delphes.
Cette galerie est enfin réalisée et ouverte au public depuis 2012.
Voici la pierre, telle qu'on pouvait la voir en 2008.
On devine une trace circulaire sur le dessus, comme si ce bloc avait
été la base d'une colonne.
J'aurais dû voir aussi qu'elle était si bien
taillée sur ses 4 côtés
que les autres faces étaient elles aussi
inscrites...
Comme je n'ai photographié à ce jour que la face visible ici,
c'est elle que nous allons lire.
BCH
125, p.290 et suivantes.
Un clic sur l'image vous en donnera un agrandissement.
Première constatation concernant
la forme des lettres :
L'écriture est
ronde
(les ôméga, les sigma, les epsilon),
les alpha ont la barre médiane nettement brisée,
le mu est très large, prenant la place de deux lettres,
le pi a la forme de la minuscule moderne, avec ses deux branches
verticales égales,
et la barre horizontale qui dépasse des deux
côtés.
Toutes ces caractéristiques indiquent une période
assez tardive,
ne pouvant guère remonter avant notre ère.
L'ensemble est assez facile à déchiffrer, malgré
les lignes très serrées :
il n'y a guère d'intervalle entre les lettres
d'une ligne et celles de la ligne suivante.
Et vous allez découvrir plus facilement sur la transcription
(mais vous pourrez vérifier sur la photo)
que le graveur s'est laissé aller à
quelques fantaisies orthographiques :
Ainsi le même mot est écrit à une ligne d'intervalle,
d'abord "épita
somenon", puis "épita
ssomenon".
Quand au doublement du "m", il n'a pas résisté à la largeur de la lettre M :
voyez "progegra
menon", pour "progegra
mmenon".
On peut lire aussi quelques simplifications de EI en I :
"Eukl
idou" pour "Eukl
eidou" (ou plus souvent à Delphes : "Eukleida"),
et voyez ce qu'est devenu l'infinitif delphique du verbe être, "
imen" au lieu de "
eimen".
Transcription :
Avant même de traduire, nous voyons que ce texte est
incomplet.
Il manque toute la fin, ce qui fait que nous n'avons ici
ni le nom du
garant, ni ceux des témoins.
C'est que l'inscription continuait sur les autres faces de la pierre.
Mais contentons-nous de ce que nous avons sous les yeux,
qui donnera déjà ample matière
à commentaire.
Traduction :
A la bonne Fortune.
Sous l'archontat
à Delphes de Timagénès fils de
N------os, au
mois d'Amalios, Kallistratos fils de Nikandros et
Sôtas fils d'Eukleidas étant bouleutes,
Eiraniôn fils de Ménandros, et par sa naissance
fils de Sôsikratès, Delphien, a vendu à
Apollon Pythien un "corps féminin" du nom de
Symphérousa, pour un prix de trois mines d'argent, et j'ai (sic) la
somme entière. Et je l'ai vendue à la condition
que le "corps" précité soit libre. Mais que
demeure le "corps" précité auprès
d'Eiraniôn pendant toute la durée de la vie de ce
dernier, et qu'elle (sic) fasse
de façon irréprochable ce qui lui sera
ordonné. Si elle ne demeurait pas ou ne faisait pas ce qui
lui sera ordonné, qu'Eiraniôn ait le pouvoir de la
punir de la façon qu'il voudra. |
Le vendeur a été
adopté, et mentionne dans l'acte son patronyme d'adopté,
suivi de son patronyme de naissance.
Ce cas n'est pas rare dans la Grèce antique,
et plusieurs
expressions servent à désigner cette double filiation.
Pourquoi, alors qu'il n'est question d'aucune autre cité que
Delphes,
nous précise-t-on que l'archonte est de Delphes, à la
ligne 2,
et à la ligne 5 que le vendeur est Delphien ?
Serait-ce parce que ce dernier n'était pas Delphien d'origine,
et ne l'est devenu que lorsqu'il a été adopté par Ménandros ?
On remarquera aussi que l'usage habituel du mot "
sôma" (le corps) pour désigner l'esclave,
entraîne tantôt un accord au neutre, tantôt suivant le sexe de la personne.
Ainsi on a au neutre "eleutheron" et "progegrammenon", mais ensuite "poiousa", au féminin.
L'un des bouleutes, Sôtas fils d'Eukleidas, est à rapprocher d'Eukleidas fils de Sôtas,
qui était témoin de
l'affranchissement n°6.
Et son collègue, Kallistratos fils de Nikandros,
est de la famille d'un ou de deux Nikandros fils de Kallistratos,
dont le nom est cité dans plus de vingt inscriptions de Delphes,
en tant que bouleute, secrétaire, archonte et prêtre.