initiation à l'épigraphie grecque par Claire Tuan, stèle de bronze trouvée à Fier.

une stèle de bronze au musée d'Apollonia

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Nous sommes en Albanie. Commençons par une courte visite du site d'Apollonia :

Apollonia en Albanie
Google maps

L'autre grand site archéologique albanais, Butrint, se trouve tout au sud, en dessous de Saranda,
tout près de la frontière grecque et en face de l'île de Corfou.
Et nous verrons bientôt des inscriptions du musée d'Ohrid (en haut à droite sur la carte ci-dessus).

En zoomant, nous distinguons la grande ville de Fier, à l'Est,

Apollonia, la plaine et Fier
Google maps

et nous voyons aussi que si Apollonia est adossée à des collines à l'Est,
à l'Ouest par contre ce n'est qu'une plaine jusqu'à la mer,
comme la photo ci-dessous le montre bien :

le site et la plaine

Vous voyez à l'arrière gauche le monastère qui abrite le musée où se trouve notre inscription,
et au premier plan la façade du bouleuterion.

Si l'entrée du site est plutôt modeste :

entrée du site

il est très bien aménagé, et de nombreux cartels informent les visiteurs.
Voici celui du bouleutérion dont vous avez vu ci-dessus la façade :

cartel du bouleuterion

Les jeunes mariés albanais aiment à se faire photographier devant sa belle façade,
et près de l'odéon :

odeon et mariés

Mais à part eux, les principaux visiteurs du lieu sont ceux-ci :

tortue

Entrons maintenant dans le musée au sein du monastère.
Voici quelques uns des objets très intéressants qui s'y trouvent :

relief1 relief 2cippe 1 cippe 2

statue 2 vase 1 vase 2 vase verseur avec passoire statue 1

chaussure de bronze petit bronze

et enfin  : stele en bronze

C'est à ce dernier objet, une belle stèle de bronze, que nous allons consacrer la suite de cette page.
Cette stèle n'a pas été trouvée sur le site même d'Apollonia, elle se trouvait chez un habitant de la ville voisine, Fier :

une rue de Fier

Pour présenter cette inscription, j'ai utilisé plusieurs documents :

--> la première édition, par Ceka Neritan, "Mbishkrime byline / Inscriptions bylliones", dans la revue Iliria, vol. 17 n°2, 1987 ;
--> l'article de Pierre Cabanes, «Recherches épigraphiques en Albanie, péripolarques et periploi en Grèce du Nord-Ouest et en Illyrie à la période hellénistique», dans la revue CRAI 135 (1991, 1) ;
--> l'article de Chaniotis dans l'ouvrage Sécurité collective et ordre public dans les sociétés anciennes, 2008 ;
--> et celui de Francesca Crema, «Pritania e spazio civico», dans l'ouvrage Lo spazio ionico e le comunità della Grecia nord-occidentale (colloque 2010).


chaussure de bronze

Voici la stèle :

la stèle

Elle est intacte, et vous devez pouvoir la lire avant d'en découvrir ci-dessous la transcription et la traduction.

chaussure de bronze

Observons la forme des lettres :
- les extrémités des traits sont légèrement renflés, sans former toutefois exactement des apices.
- les alpha ont la barre médiane brisée.
- les omicron, les thêta et les oméga sont un peu plus petits que les autres lettres, et légèrement "suspendus".
- les bêta et certains phi sont étroits et un peu plus longs que les autres lettres.

chaussure de bronze

transcription
SEG 38, 521

πρυτανεύοντος Βίωνος τοῦ Κλει-
  γένεος, Ψυδρέος ιηʹ, τοῦ ταμία Ἀ-
ριστῆνος τοῦ Ἐξακίου ἀπολογιξα-
  μένου τοῖς πρεσβυτέροις καὶ τᾶι ἐκ-
   κλησίαι ὅτι εἴη ὁ περιπόλαρχος Ἀρι-
στῆν ὁ Παρμῆνος πεποιηκὼς τοῖς
Βαλαιιταῖς φιλάνθρωπα καὶ πλήω,
ἔδοξε  τοῖς  Βαλαιειταῖς  στεφανωθῆ-       
  μεν τὸν περιπόλαρχον Ἀριστῆνα τὸν
Παρμῆνος στεφάνωι χρυσέωι ἀπὸ
χρυσῶν πέντε ἀρετᾶς ἕνεκα καὶ εὐ-
νοίας·    τοῦ δὲ περιπολάρχου Ἀρισ-
  τῆνος τοῦ Παρμῆνος ἐυχαριστήσαν-
         τος τοῖς Βαλαιιταῖς ἐπὶ τῶι δοθέντι αὐ-
τῶι φιλανθρώπωι καὶ ἀντιστεφα-
νώσαντος τὸ κοινὸν τῶν Βαλαιε-
τᾶν τῶι
αὐτῶι στεφάνωι,               
ἔδοξε  τοῖς  Βαλαιειταῖς  ψάφισμα  ἀ-       
ναγραφῆμεν εἰς χάλκωμα καὶ κα-
τασταθῆμεν εἰς ἐπιφανῆ τόπον  
       διὰ τὰ προγεγονότα ὑπ’ αὐτοῦ φιλάν-
  θρωπα, μετέχειν δὲ καὶ τῶν κοινῶν
αὐτὸν καὶ ἐκγόνους, μετέχειν δὲ   
    τῶν κοινῶν καὶ τοὺς γραμματεῖς αὐ-
τοῦ Παρμῆνα Τεισάρχου καὶ Βοῦ-
λον τὸν Ἀβαίου.

traduction

Biôn fils de Kleigénès étant prytane,
le 18 du mois de Psydreus,
le trésorier Aristèn fils d'Exakios
ayant exposé aux Anciens et à l'Assemblée
que le péripolarque Aristèn fils de Parmèn
avait accordé de très nombreux bienfaits aux Balaiitai,
il a plu aux Balaieitai de couronner
le péripolarque Aristèn fils de Parmèn
d'une couronne d'or d'une valeur de cinq chrysoi,
en raison de son mérite et de son dévouement.
Et comme le péripolarque Aristèn
fils de Parmèn avait remercié les Balaiitai
pour ce bienfait qui lui avait été accordé,
et qu'en retour il avait couronné le koinon
des Balaietai d'une couronne égale à la sienne,
il a plu aux Balaieitai de faire transcrire ce décret
sur une tablette de bronze et de l'installer
dans un lieu bien en vue, eu égard aux bienfaits
qu'il a accordés ; que lui et ses descendants
participent aux affaires communes,
et que participent aussi aux affaires communes
ses secrétaires Parmèn fils de Teisarchos
et Boulos fils d'Abaios.



chaussure de bronze

Ce document est le seul qui nous soit parvenu mentionnant
la "communauté" (τὸ κοινν) des Balaieitai, Balaietai ou Balaiitai.
Leur nom est écrit de trois façons différentes tout au long de l'inscription,
et comme nous savons qu'à l'époque probable de sa gravure (IIIe ou IIe s. av. J.C.)
 les deux graphies ι et ει se prononçaient toutes deux /i/,
nous ne pouvons décider quelle était la vraie graphie du nom de ce peuple,
qu'en français les éditeurs ont appelé les Balaiites.
On ignore leur localisation,
car l'inscription a été donnée au musée d'Apollonia par une famille de Fier
qui la détenait depuis longtemps sans savoir où elle avait été trouvée.

chaussure de bronze

Cette communauté était-elle indépendante politiquement,
ou faisait-elle partie de la cité d'Apollonia ?
Les avis sont partagés.
Elle avait en tout cas des instances propres :
- un prytane éponyme, à moins que ce soit le prytane éponyme d'Apollonia,
- un trésorier,
- un conseil des Anciens, les "presbyteroi",
- une assemblée.
Et cette communauté émettait des décrets,
introduits par la formule habituelle "il a plu ..." ( ἔδοξε).
Notre stèle porte deux décrets successifs,
bien distingués par la position du verbe  ἔδοξε qui dépasse l'alignement gauche.

chaussure de bronze

le mois Psydreus :
Ce nom de mois n'est connu que dans cette région Nord-Ouest du monde grec antique.
On le lit dans des inscriptions d'Apollonia, de Bouthrotos-Butrint, de Corfou.
Il doit correspondre à mars-avril.

chaussure de bronze

Parlons maintenant du péripolarque :
Si l'on décompose le mot, cela donne :
- arque (-αρχος) = qui est à la tête de, qui commande
- peri = autour
- pol : la cité, polis.

On connaît à Athènes et dans plusieurs régions l'institution des "peripoloi",
le groupe de ceux qui patrouillaient tout autour,
c'est-à-dire aux frontières du territoire de la cité.
C'étaient souvent des jeunes gens qui parfaisaient ainsi
leur formation militaire de citoyens pendant une période d'un an ou deux.

chaussure de bronze

Le péripolarque Aristèn fils de Parmèn
et ses deux secrétaires Parmèn fils de Teisarchos et Boulos fils d'Abaios
.

Ils sont désignés dans l'inscription sans ethnique,
ce qui laisse supposer qu'ils appartenaient au même "ethnos" que les Balaiites,
qu'ils n'étaient pas vraiment des étrangers pour eux.
Mais les Balaiites leur accordent le droit de "participer aux affaires communes",
expression qui a été comprise comme une sorte de "droit de cité" (= politeia),
privilège qu'une cité ou une communauté accordait à des étrangers qui lui avaient rendu des services.
On peut donc penser que les Balaiites formaient une subdivision d'une communauté plus large
dont faisaient partie le politarque et ses secrétaires.
Si cette communauté plus large était la cité d'Apollonia,
elle devait effectivement assurer la garde de son territoire grâce aux patrouilles de ses peripoloi,
qui passaient une partie de leur temps sur le territoire des Balaiites,
et ce dernier devait donc se trouver aux marges de celui d'Apollonia.

chaussure de bronze

Que valaient 5 chrysoi ?

Question délicate, car tout comme de nos jours, la valeur de l'argent et de l'or a fluctué.
Pour donner juste un ordre d'idée, 1 chrysos ou chrysous (= pièce d'or) pouvait valoir environ 20 drachmes d'argent,
et donc 5 chrysoi pouvaient équivaloir environ à 100 drachmes d'argent.
A Athènes, les inscriptions indiquent souvent la valeur de 1000 ou 500 drachmes pour une couronne d'or honorifique,
tandis que dans d'autres régions on ne mentionne pas dans les inscriptions la valeur de la couronne d'or attibuée.
On comprend qu'une petite communauté comme celle des Balaiites n'était pas assez riche
pour offrir une couronne de la même valeur que celles distribuées à Athènes !


chaussure de bronze

L'échange de remerciements :

Il n'est pas très courant de lire dans des décrets honorifiques un tel échange :
---> Une couronne d'or offerte par les Balaiites au péripolarque,
<--- puis la même couronne d'or offerte par le péripolarque aux Balaiites
---> et enfin gravure par les Balaiites de cette belle stèle de bronze,
et octroi aux honorés du "droit de participer aux affaires communes des Balaiites".

chaussure de bronze


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