initiation à l'épigraphie grecque par Claire Tuan, l'Amphiareion-3

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à l'Amphiareion d'Oropos,

cistesAmphiar2.jpg  base n°3.  cistesAmphiar2.jpg



Juste après la deuxième base, nous trouvons celle-ci , qui portait une statue équestre :

base3.jpg

Très intéressante, cette base, car nous allons y lire quatre textes très différents :

La dédicace de la statue,
une signature de sculpteur,
une réponse des Oropiens aux gens d'Akraiphia,
et enfin un décret honorifique du koinon béotien, en dialecte.

cistesAmphiar2.jpg


Commençons par la dédicace et la signature, très lisibles, mais qui vont nous réserver une surprise :


3dedicsign.jpg
la dédicace : Epigr. tou Oropou 456 : 27-12 av.J.C.
la signature : Epigr. tou Oropou 374, entre le milieu du IVe s. et le début du IIIe s. av.J.C.


      
AgrippaLouvre.jpg Agrippa, au musée du Louvre. 3-456.gif Le peuple
(honore d'une statue)
Marcus Agrippa,
fils de Lucius, 
trois fois consul,
son bienfaiteur.

Cette dédicace est bien gravée, en grandes lettres fines et sobres.
Alpha à la barre médiane brisée,
Mu aux branches penchées,
par contre Sigma aux barres haute et basse parallèles,
Pi dont la deuxième branche verticale est aussi longue que la première,
et dont la barre supérieure dépasse les branches verticales.
Tout au plus peut-on reprocher au graveur de ne pas avoir davantage soigné la "mise en page" :
sans utiliser plus de place, il aurait pu éviter de couper les mots en fin de ligne.

C'est la dédicace d'une statue en l'honneur d'Agrippa, le grand lieutenant d'Auguste.
Les Oropiens l'ont offerte à une époque où il était de bonne politique
d'honorer les grands personnages de la Rome conquérante.
Les Athéniens eux aussi ont honoré Agrippa d'une statue équestre
sur la haute base qui s'élève juste avant les propylées de l'Acropole d'Athènes.

Oui mais ...

La signature du sculpteur,

3-374.gif  
Mètiochos a fait.

est beaucoup plus ancienne. Comparez les lettres, en particulier les sigma, les omicron et les pi.
Ce Mètiochos, qui a inscrit sa signature aussi sur une autre base de l'Amphiareion,
a oeuvré vers la fin du IVe s. ou le début du IIIe s. av.J.C.,
donc environ 300 ans avant Agrippa !!!

La conclusion s'impose : Par commodité, les Oropiens ont gardé la statue d'origine,
qui honorait sans doute un de leurs grands bienfaiteurs ou un roi hellénistique,
- et ils ont donc conservé la signature du sculpteur-
mais ils ont érasé la première dédicace pour la remplacer par celle d'Agrippa.

 Nous en verrons d'autres exemples dans ce même sanctuaire.

cistesAmphiar2.jpg



Vient ensuite un décret de la cité d'Oropos en réponse à une demande d'Akraiphia :


oroposAkraiphia-s.jpg
Epigr. tou Oropou 304,  vers 225 av.J.C.

Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

3-304.gif
Epikratès fils d'Archippos a fait la proposition, à propos des affaires sacrées : Attendu qu'il se trouve que la cité des Akraiphiens a envoyé comme ambassadeurs dans les cités qui sont en Béotie trois hommes, accompagnés du prêtre et du prophète, pour présenter une sollicitation, et qu'une fois arrivés dans notre assemblée ils ont lu le décret émanant des Akraiphiens et ont demandé à notre peuple de participer à l'accroissement du sacrifice à Apollon Ptoïos tout comme le koinon des Béotiens et la cité des Akraiphiens ; afin donc qu'il soit manifeste que la cité des Oropiens, comme cela est de son devoir, célèbre les dieux pieusement et magnifiquement et entretient d'excellentes relations avec la cité des Akraiphiens,  plaise au Conseil et au peuple que l'archonte et les polémarques en charge successivement et le secrétaire conduisent en procession un boeuf aux Ptoïa à partir de notre cité, qu'ils participent eux-mêmes à la procession et à tous les autres actes du sacrifice comme cela est prévu par écrit pour tous les autres sacrifices auxquels notre cité participe dans le cadre du koinon béotien. Que les polémarques fassent transcrire ce décret dans le sanctuaire d'Amphiaraos, à l'endroit qui leur paraîtra être le plus convenable, et que le trésorier en charge lors du deuxième tiers de l'année  verse la somme pour la gravure du décret.


Les lettres :
Remarquez les Alpha à la barre médiane non pas brisée mais arquée,
les Sigma aux branches très allongées et divergentes,
les Nu dont la deuxième et la troisième branche ne descendent pas aussi bas que la première,
les Thêta pointés au centre, les Omicron plus petits que les autres lettres,
mais ce qui est rare dans les inscriptions grecques:
le Pi dont la barre de droite, plus courte comme il se doit, est courbe.


la langue :
faitslangue.jpg


la formulation du décret :
Comme pour d'autres décrets de l'Amphiareion (voir ici),
il manque les éléments qui permettaient la datation du décret :
le nom de l'archonte et du prêtre d'Amphiaraos qui étaient en fonction.
Il faut bien comprendre que lorsqu'une cité grecque votait un décret,
le texte complet du décret était conservé aux archives,
et c'est seulement pour donner de la publicité au décret
qu'il arrivait qu'on en grave sur la pierre le texte, mais souvent réduit à l'essentiel.


l'objet de cette inscription :

Pour la première fois sur mon site, voici un texte qui évoque
les relations entre des cités, concernant des fêtes religieuses.
Le sanctuaire d'Apollon Ptoïos et la fête des Ptoïa avaient une importance centrale pour les cités béotiennes fédérées.
Ce sanctuaire se trouvait dans les collines, un peu à l'Est d'Akraiphia.
A plusieurs reprises au cours de leur histoire, les fêtes qui y étaient célébrées ont été réorganisées,
et l'on a des témoignages de réponses des cités béotiennes à ces demandes de réorganisation de la part d'Akraiphia.

A l'époque hellénistique puis romaine, d'autres sanctuaires virent leurs fêtes réorganisées
et comme ici des ambassadeurs furent envoyés auprès d'un grand nombre de cités grecques
pour leur demander leur adhésion à la nouvelle formule.


cistesAmphiar2.jpg


Continuons la lecture de la pierre, nous arrivons à un décret en dialecte béotien :

3-92s.jpg
Epigr. tou Oropou 92, vers 222-208 av.J.C.

Cliquer sur l'image pour l'agrandir.


3-92.gif

Epikratès étant prêtre,
Damophilos archonte, au mois de Panamos, Xénéas fils d'Emmonos de Thespies  mettait aux voix, Nikôn fils de Nikôn de Tanagra a fait la proposition :
plaise au peuple que soit proxène et bienfaiteur du koinon des Béotiens Sôsipatros fils d'Agestrotos, de Kalymnos, lui et ses descendants, et qu'il ait le droit d'acquérir terre et maison, l'égalité devant l'impôt, et la sécurité en temps de guerre comme en temps de paix, sur terre comme sur mer, ainsi que tous les autres droits accordés aux autres proxènes et bienfaiteurs du koinon des Béotiens.

- En zoomant sur la photo, vous avez dû remarquer les lignes de guidage pour la gravure.

- Avez-vous observé aussi la forme des phi, en arbalète, aux lignes 2 et 6 ?

- Pour les remarques sur le dialecte béotien, voir ici et ou là (pdf).
Notons en particulier ici le double delta au lieu du dzêta, à la ligne 2,
ainsi que l'upsilon là où l'attique a la graphie "oi".

- un mois béotien : Panamos. Voir ici.

- Est-ce le même Epikratès qui faisait la proposition dans le décret précédent ?

- On voit que les deux premières personnes sont nommées sans patronyme ni ethnique,
et doivent donc être d'Oropos où était gravé le décret,
alors que les deux suivantes, Xénéas et Nikôn, ont droit à la précision du patronyme et de l'ethnique,
le premier étant de Thespies et le second de Tanagra,
ce qui se comprend bien pour un décret pris par le koinon des Béotiens.
D'où aussi le dialecte.

Mais nous ne savons pas pourquoi cet insulaire est ainsi honoré par les Béotiens.
Le nom de son père est ici Agestrotos, qui correspond au grec commun Agestratos (= celui qui conduit l'armée),
nom particulièrement répandu à Rhodes, donc près de Kalymnos.





 
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