initiation à l'épigraphie grecque par Claire Tuan, à Hérakleia Lynkestis.

relief paysage relief2
Visite printanière à Hérakleia Lynkestis

Nous sommes dans la république de Macédoine du Nord, tout près de la ville de Bitola :

carte Macedoine Nord
Google Maps

Voici la vue du site par Google Maps :

vue du site Google Maps

Puis mes photos :

sur place sur place 2 sur place 3

sur place 4    sur place 5

sur place 6 le théâtre sur place 7 sur place 8

sur place 9, les thermes sur place 10 sur place 11

Mais mieux que mes photos, regardez cette video du site.

La cité d'Hérakle(i)a Lynkestis a dû être fondée par le roi de Macédoine Philippe II, au milieu du IVe s. av. J.C.
Lynkestis (la Lyncestide en français) était le nom de la région,
qui avant sa conquête par Philippe II constituait un royaume.
Ce qu'on en voit aujourd'hui, que ce soit les vestiges des monuments publics ou les inscriptions,
date essentiellement, à part les basiliques chrétiennes aux belles mosaïques,
 de l'époque impériale, en particulier du IIe s. apr. J.C.
Pour plus de renseignements sur cette cité, voir ici.

motif ornemental

Plusieurs inscriptions grecques sont visibles sur le site, je vous en présente 7 :

1. Commençons par cet ex voto :

ex voto

Observons d'abord l'image :
deux oreilles et une pomme de pin.
Voici d'autres reliefs comportant eux aussi une ou deux oreilles,
dans le nord de la Grèce, et datant tous, comme le nôtre, de l'époque impériale :

à Thessalonique
Bezesteni Serres
à Aiani
à Volos
au musée archéologique de Thessalonique,
IG X,2-1 59.
θεῶι Διονύσῳ
ἀκοὰς κατ’ εὐχ-
ὴν ❦ Ἀγχὶς ἀνέθηκε.

Au dieu Dionysos, suite à un voeu, Anchis a consacré
au musée archéologique de Serres.

au musée archéologique d'Aiani, près de Kozani.
Epigraphes anô Makedonias  23.
Πετρωνία Που-
πλίου εὐχήν.
Petrônia fille de Pouplios (=Publius), en ex-voto.
au musée archéologique de Volos.
On peut lire à la 2ème ligne :
Μητρεὶ Θεῶν (à la Mère des dieux) et on devine à la 3ème ligne : [εὐ]ξαμένη (ayant fait un voeu).


Ces oreilles ont été comprises de deux façons :
- soit qu'il s'agisse d'un voeu pour retrouver l'ouïe,
- soit, et plus vraisemblablement, qu'il s'agisse de demander à la divinité
de prêter l'oreille à une demande, ou de la remercier d'avoir prêté l'oreille à la demande.

Revenons à notre inscription (IG X 2 2 58). Nous lisons :
[ε]ὐχὴν Ἀσσκλη̣-
[πι]ῷ  Ἀσσκληπι-
     άδ̣[η]ς̣.

Asklèpiadès à Asklépios, suite à un voeu.

Une seule remarque : les sigma géminés, phénomène que l'on retrouve dans plusieurs inscriptions de Macédoine.


motif ornemental motif ornemental motif ornemental

Allons voir ensuite trois inscriptions sur des bases alignées contre un mur :

3 inscriptions

motif ornemental


2. Commençons par celle qui est surmontée d'une statue :

base et statue    IG X 2 2 56

L'inscription (IG X, 2 2 56, début du IIe s. apr. J.C.) est facile à lire,
y compris les deux mots gravés sur la corniche, où il faut seulement restituer un T initial :

[Τ]ύχῃ πόλεως

Νεμέσι
Θεᾷ
Ἰουλία
Τέρτυλλα.


La formule de la première ligne rappelle les débuts de nombreux décrets,
où l'on lit : ἀγαθῇ τύχῃ, à la bonne Fortune.
Ici nous n'avons pas ἀγαθῇ, mais le sens est le même.

A la fortune de la cité,
Ioulia Tertulla (a fait faire cette dédicace)
à la déesse Némésis.


Pourquoi Némésis ?
Cette déesse est celle qui punit les fautes graves, en particulier l'hubris (l'excès),
elle protège donc la justice.
dans une inscription de Pisidie (SEG 38, 1328, IIe s. apr. J.C.), on lit :
ἡ Νέμεσις ἀνθρώποισι τὴν δίκην νέμει.
Némésis distribue aux humains la justice (ou les châtiments).

A partir du 1er et du IIe s. apr. J.C., Némésis était très souvent invoquée par ceux qui craignaient
d'être victimes de concurrents, que ce soit dans leur vie personnelle ou dans le cadre des concours,
ce qui expliquerait qu'on ait découvert des représentations de cette divinité aux abords de nombreux théâtres.

motif ornemental


3. Voyons ensuite la base grise :

IG X 2 2 55

On lit facilement la dédicace (IG X 2 2 55, début du IIe s. après J.C.) :
  θεῷ
                Δικαιοσύνῃ.

           à la déesse
         Justice.


Remarquons la variante pour désigner une déesse : θεᾷ dans l'inscription précédente,θεῷ ici.

Ce qui est inscrit au dessus est très mutilé.
On peut discerner ceci :

IG X 2 2 55 haut

[- - - - - -]δράσι λειμὸς ὀπη[---]
[- - - - - - -]ότα ἔργα νέμονται. 

Et un épigraphiste (Barisic, in Herakleja II 26-27, note 48) y a reconnu les vers 230 et 231 d'Hésiode
dans son poème Les Travaux et les Jours, à propos de la justice :

οὐδέ ποτ᾽ἰθυδίκῃσι μετ᾽ἀνδράσι λιμὸς ὀπηδεῖ
οὐδ᾽ἀάτη, θαλίῃς δὲ μεμηλότα ἔργα νέμονται.

et jamais la faim n'accompagne les hommes à la justice droite,
ni le malheur, et ils ont en  partage les oeuvres de l'abondance auxquelles ils ont porté leurs soins.


motif ornemental


4. Entre les deux bases que nous venons de voir,
qui sont des dédicaces à des divinités, se trouve celle-ci :

IG X 2 2 73   IG X 2 2 73 

L'écriture est très fine et soignée, mais aussi très libre :
observez les ligatures, quand un T est suivi d'un H ligature TH, ou même THN ligature THN,
ainsi que la variation de taille des lettres, en particulier les voyelles ε et o qui sont parfois minuscules.

IG X,2 2 73, SEG 49,713, début du IIe s. apr. J.C.

❦ ἡ πόλις ❦∙
Τ(ίτον) ∙ Φλάβιον
Ὀρέστην
τὸν ∙ β ∙ ἀρχιερέα
καὶ εὐεργέτην
τῆς εἰς ἑαυτὴν
εὐνοίας ἕνε-
κεν
εἰσηγησαμένου
∙ Γ(αΐου) ∙ Μαρ(ίου) ∙ Βλοσσιανοῦ
Θράσωνος.

et tout en bas, écrit plus petit, la forme des lettres étant très différente :
πολειταρχ(οῦντος) ∙ Μαρί(ου) ∙ Κλαυδ(ίου) ∙ Πούλχρου.
ma traduction :

La cité (honore)
Titos Phlabios
Orestès,
2 fois grand prêtre,
et bienfaiteur,
en raison de
son dévouement
envers elle,
Gaios Marios Blossianos
Thrasôn ayant fait la proposition.


Marios Klaudios Poulchros étant politarque.

>> les noms <<

Les 2 premières personnes nommées ont des noms mixtes, romains mais avec un cognomen grec :
Titus Flavius Orestès, Caius Marius Blossianus Thrasôn,
et le politarque a un nom entièrement romain : Marius Claudius Pulcher.
  

>> les fonctions <<

Le grand prêtre (ἀρχιερεύς) était chargé du culte impérial dans la province.
Ce n'était pas une fonction qu'il exerçait à vie, puisque T. Flavius Orestès a été grand prêtre 2 fois.

Quant au politarque, ce terme indique qu'il était à la tête de l'administration de la cité.
Cette fonction n'apparaît guère qu'en Macédoine et en Epire.
Etait-il seul ou faisait-il partie d'un collège ?
Cela dépendait de l'importance de la cité.
Ainsi un décret (Epigraphes anô Makedonias 186) de la petite cité de Battyna en Macédoine,
un peu à l'ouest de l'actuelle Kastoria, parle d'un seul politarque chaque année :

ἐπιμελεῖσ/θαι δὲ τούτων τὸν κατὰ ἔτος γεινόμενον πολει/τάρχην
Que soit en charge de cela le politarque en fonction chaque année.

Alors que les politarques forment un collège dans des inscriptions de Thessalonique et de Béroia
comme ici (Epigraphes katô Makedonias 1,  Beroia 103) où est nommé un collège de 5 politarques :

ἡ πόλις - Γάιον - Ἰούλιον - Θεογένην - ἄριστα  
πεπολειτευμένον - γυμνασιαρχούντων
Ἀλεξάνδρου τοῦ Θεοφίλου, Ἀλεξάνδρου τοῦ Φιλοκράτους, πολειταρχούντων
Ἀδαίου    τοῦ    Διοδώρου
Κλεάνδρου     του    Ζωπύρου
Δημητρίου          τοῦ     Διονυσίου
Δίωνος      τοῦ   Ἀλε<ξ>άνδρου
Διογένους   τοῦ        Ἀμύντου.

La cité (honore) Gaios Ioulios Theogénès qui a rempli parfaitement son rôle de citoyen,
étant gymnasiarques Alexandros fils de Théophilos et Alexandros fils de Philokratès,
et étant politarques
Adaios fils de Diodôros,
Kléandros fils de Zôpyros,
Dèmètrios fils de Dionysios,
Diôn fils d'Alexandros,
Diogénès fils d'Amyntas
.



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5. Autre inscription, au bas d'une colonne :

IG X 2 2 124, vue remploi
Ce détail du relief coupé indique qu'il y a eu remploi.



IG X 2 2 124
IG X 2 2 124, IIe s. apr. J.C.


[Α]ὐ(ρηλία)  Λουκία  Ἀλφιδίῳ
Ἰουλιανῷ τῷ ἀνδ
[ρὶ]
[σ]τ[ρ]ατιώτῃ λεγιωναρ̣[ίῳ]
[λε
]γιῶνος  δʹ  τελευτ[]̣-
[σ]αντι καὶ ἑαυτῇ κὲ τ[ῷ]
τέκνῳ Ἀγροικίῳ
ζῶσιν μνήμης χάριν.

Aurèlia Loukia pour Alphidios
Ioulianos son mari,
soldat légionnaire
de la 4ème légion, décédé,
et pour elle-même
et son fils Agroikios,
de leur vivant, en mémoire.


Ainsi c'était une stèle funéraire qui a par la suite été remployée pour en faire une colonne.
Mais on voit encore le bas du corps des 3 personnages :
la femme, Aurèlia, à droite, le fils au milieu, et le père, soldat, à gauche.

Pour l'écriture, remarquez
- les lettres lunaires sigma et epsilon (avec la petite barre centrale ondulée),
- les omégas de forme cursive,
- les ligatures, à la fin de [σ]τ[ρ]ατιώτῃ, au début de τελευτ[]̣-[σ]αντι,
à la fin de ἑαυτῇ ainsi que dans le mot μνήμης.

C'est ce que nous avons déjà vu dans l'inscription précédente.
Remarquez aussi :
- le KE au lieu de KAI à la fin de la ligne 5, alors qu'au milieu de la même ligne est écrit KAI,
- et les êta dont la barre centrale ne touche pas les deux hastes verticales : ETA.

Les 2 premiers noms sont romains, on pourrait les traduire ainsi :
Aurèlia Lucia et Alfidius Julianus.
Quant au nom du fils, Agroikios, rare et qui paraît grec,
on le trouve plus tard sous sa forme latine, Agrecius,
en particulier pour des évêques des premiers siècles de notre ère,
à Trèves, à Antibes et à Sens.

La 4ème légion romaine, appelée "legio Flavia Felix", fut constituée par Vespasien,
et on a des mentions de son activité jusqu'au IVe s.
Elle était normalement stationnée près de l'actuelle Belgrade.



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6. Et maintenant, une décision du koinon macédonien en l'honneur d'une femme :

IG X 2 2 71 vue   IG X 2 2 71 texte

IG X 2 2 71, entre 100 et 250

ἀγαθῆι τύχηι·
τὸ κοινὸν
τῶν Μακεδό-
νων Μανλίαν
Φοντείαν Λού-
κουλλαν Ἀφρι-
κανὴν Μαξίμαν,
Λ(ουκίου) ou A(ulou)∙ Ποντίου Βή-
ρου τοῦ λαμ-
προτάτου ἀν-
θυπάτου, ὑπά-
του γυναῖκα,
ἀρετῆς ἕνε-
κεν.

traduction

A la bonne fortune !
le koinon des
Macédoniens
(honore) Manlia
Phonteia Loukoulla
Aphrikanè Maxima,
épouse de
L(oukios) ou A(ulos)
Pontios Vèros
le très illustre
proconsul
et consul,
en raison de
sa vertu.


L'écriture est assez régulière, mais le graveur n'avait pas calculé parfaitement la longueur de ses lignes,
c'est pourquoi certaines lettres de fin de ligne sont plus petites.
On aperçoit un tout petit N sur la moulure de droite à la ligne 6,
un tout petit A sur la même moulure à la ligne 10,
et un petit epsilon lunaire à la fin de l'avant-dernière ligne.

Cette écriture nous indique ici encore l'époque impériale,
avec ses sigmas et ses epsilons lunaires, ses omégas cursifs, la ligature : Ἀφρι-κανὴν,
ainsi que les hastes obliques des alphas et des lambdas qui dépassent en haut vers la gauche.
Le praenomen du proconsul a été lu par les épigraphistes tantôt  Λ(ουκίου), tantôt A(ulou).
Je lis plutôt un lambda qu'un alpha.  Et il est difficile de trancher car ce personnage,
nommé "proconsul" (ἀνθπατος), ce qui signifiait qu'il était gouverneur d'une province,
en l'occurrence celle de Macédoine, n'est pas connu par ailleurs.

Transcrivons les noms romains :
Manlia Fonteia Luculla Africana Maxima,
et Lucius (ou Aulus) Pontius Verus.

Si le koinon de Macédoine a pris cette décision qui a été gravée à Hérakleia Lynkestis, cela signifie
- soit qu'il s'était réuni dans cette ville, et l'on sait que le koinon
ne tenait pas seulement ses assemblées dans la capitale provinciale, Thessalonique,
 mais qu'il se déplaçait aussi dans les villes importantes de toute la Macédoine ;
- soit que la famille de ce gouverneur était domiciliée à Hérakleia Lynkestis.

En tout cas la ville d'Herakleia Lynkestis a pris de l'importance à l'époque romaine
car elle était une étape de la via Egnatia, mais aussi au départ d'une voie qui se dirigeait au NE vers Stobi.


motif ornemental motif ornemental motif ornemental

7. Et nous terminerons avec une inscription sur des gradins du théâtre :

inscr theatre


Il n'est pas rare, surtout dans les théâtres construits ou reconstruits à l'époque impériale,
de voir des inscriptions sur les gradins, ou sur la face antérieure des gradins.
C'étaient :
- soit des réservations de places pour des prêtres,
par exemple au théâtre de Dionysos à Athènes :

au thèâtre de Dionysos à Athènes

ou à l'Amphiaraion d'Oropos :

Amphiaraion

 ou pour une famille de notables, comme à Delphes,

ou pour chaque tribu et ses membres, comme à Stobi :

une tribu à Stobi  place de Silvanos

ou pour une seule personne, comme à Ohrid, où l'on lit : "Amias topos" :

Amias topos

- soit des affranchissements d'esclaves, comme ici à Oiniadai :

théâtre d'Oiniadai

- soit des inscriptions honorifiques, comme celles qui courent sur tout le mur arrière du diazoma du théâtre de Kibyra :

mur du diazoma à Kibyra   inscr honorifique Kibyra

- soit des dédicaces, comme ici à Messène :

dédicace

- soit de simples graffiti, semble-t-il.

Revenons à notre inscription, dont le texte se lit bien :

phylè Dionysias

Φ         Υ         Λ         Η        Δ  Ι  Ο  Ν  Υ  Σ  Ι  Α  Σ
Tribu Dionysias.
On connaît par une inscription (IG X 2 1 185) une tribu Dionysias à Thessalonique,
et une également à Sardes (SEG 45, 1643).
Et par d'autres inscriptions de ce même théâtre d'Hérakleia Lynkestis,
on apprend qu'existait aussi dans cette cité une tribu Artemisias,
une tribu Asklèpias (également à Thessalonique),
et peut-être une tribu Hèrakleios :
Ci-dessous on lit bien : -ΚΛΕΙΟΣ   Φ Υ Λ Η
kleios phyle



relief relief2




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