Sur l'acropole de Thasos, dominant la ville et son port,
se trouvait un sanctuaire d'Apollon,
sous la dénomination d'Apollon Pythien,
où la cité exposait certains de ses décrets.
Et dans la ville même existait un Artémision,
sanctuaire de la déesse soeur jumelle d'Apollon.
Mais une pierre inscrite, découverte récemment,
et que j'ai pu photographier avant qu'elle ne prenne place dans le musée rénové,
nous apprend qu'il y avait aussi dans cette cité, sans doute près du
rivage,
un culte d'Apollon Délien et d'Artémis appelée "la Délienne".
BCH 130 (2006), p. 293 sq.
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Transcription
Ἐπὶ Σωνβρότου· Πλυντηρι-
ῶνος· ἔδοξεν τῆι βολῆι
καὶ τῶι δήμωι· τοῖς Θεσ-
μοφορίοις ἐς τὸ ἱρὸν
τοῦ Ἀπόλλωνος τοῦ Δη-
λίου καὶ τῆς Ἀρτέμιδος γυν-
αῖκα μὴ ἐσιέναι μηδεμίαν· ἥ-
τις δ’ἂν ἐσέλθῃ ἐνθυμιστ-
ὸν αὐτῆι εἶναι· ὅπως δ’ἂν τὸ
ἱρον κεκλεμένον ἦι τοῖς Θε-
[σ]μοφορίοις ἐπιμέλεσθαι
τ̣ὸν ἱροποιὸν τοῦ Ἀπόλλων-
ος τὸν ἑκάστοτε ἔοντα.
Ἐπὶ Παντακλέος· Πλυντη-
ριῶνος· ἔδοξεν τῆι βολῆι
καὶ τῶι δήμωι· τὸ ψήφισμα
[τ]ὸ γεγενημένον περὶ τῶν
[κ]τ̣ηνέων τοῦ μὴ φράσσεν
ἐν τῶι ἱρῶι τῆς Δηλίης ἀν-
αγράψαι ἐλ λίθον τὸν ἱρο-
ποιὸν τῆς Δηλίης τοῦ ἱροῦ
ἐπ’ ἧι ἄν δοκῆι ἐπιτήδειον εἶ-
ναι· προσγράψαι δὲ πρὸς τὸ
ψήφισμα· ἣ δ’ἂν ποῆι παρὰ τὸ ψή-
φισμα ἐνθυμιστὸν αὐτῆι εἶ-
ναι· ὅτι δ’ἂν ἀνάλωμα γίνητ-
αι ἐς τὴν ἀναγραφὴν παρασ-
[χ]ε̑ν τὸν ἱρομνήμονα.
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Traduction
Sous (l'archontat de) Sônbrotos,
(au mois de) Plyntèrion.
Il a plu au conseil et au peuple :
lors des Thesmophories,
qu'aucune femme n'entre
dans le sanctuaire d'Apollon Délien et d'Artémis.
Celle qui entrerait
se verrait frappée d'enthymiston.
Que le hiérope d'Apollon
qui sera chaque fois en fonction
veille à ce que le sanctuaire
soit fermé lors des Thesmophories.
Sous (l'archontat de) Pantaklès,
(au mois de) Plyntèrion.
Il a plu au conseil et au peuple :
concernant le décret déjà promulgué
interdisant de parquer des animaux
dans le sanctuaire de la Délienne,
que le hiérope de la Délienne
le fasse transcrire sur une pierre
(qui sera érigée) à l'endroit du sanctuaire
qui lui paraîtra idoine.
Que l'on ajoute au décret ces mots :
"Celle qui enfreindrait ce décret
se verrait frappée d' enthymiston".
Que le hiéromnèmôn fournisse
la somme nécessitée par la transcription.
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Quelques remarques sur
les formes dialectales, qui ne présentent pas
de réelles difficultés :
---> les mots formés sur le radical
signifiant "sacré, saint" sont tous notés sans l'epsilon après l'iota :
τὸ ἱρὸν,
τ̣ὸν ἱροποιὸν, τὸν ἱρομνήμονα.
---> le mot qui désigne la "Boulè" est
écrit avec la voyelle -
o- et non -ou-.
---> ἐς, préposition ou préfixe, est écrit sans l'iota de l'ionien-attique
εἰς.
---> et de même les infinitifs sont en
-εν et non en -
ειν,
ainsi :
φράσσεν et
παρασχε̑ν.
---> notons aussi l'assimilation
ἐλ λίθον
pour
ἐς λίθον,
le vocabulaire :
--->
le
hiérope était le régisseur d'un sanctuaire.
--->
le
hiéromnèmôn était le magistrat qui administrait les biens des domaines sacrés.
---> quasiment unique dans toute la
littérature et l'épigraphie grecque antique,
le mot
ἐνθυμιστόν n'apparaît
qu'à Thasos, dans trois inscriptions :
- En 1940, est publié un règlement religieux thasien où il est précisé
que sera frappé d'enthymiston celui qui ne versera pas au moins une obole
pour pouvoir adresser un sacrifice au héros guérisseur Théogénès.
L'éditeur, R. Martin, analyse le sens de ce mot, et conclut :
"L'action mauvaise qui a été commise entraîne un blâme de la part des hommes
et une sanction vengeresse de la part des dieux,
et provoque le remords dans le coeur de celui qui a contrevenu à la règle"
(Roland Martin, BCH (1940), p.185)
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- Le mot apparaît aussi dans l'inscription thasienne appelée "la stèle des braves",
et pour l'éditeur J. Pouilloux, il désigne "un état d'impureté religieuse".
(Jean Pouilloux, Recherches sur l'Histoire et les Cultes de Thasos I (1954), p. 371)
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- Et voici comment L. Dubois, lors d'une
conférence de 2008/2009 à l'EPHE,
à propos de l'édition toute récente de notre inscription par
J. Fournier et
P. Hamon (BCH 130 (2006), "règlement du Délion de Thasos",
p.293-327),
commente et traduit l'expression :
"On remarquera
la formule strictement thasienne exprimant la menace proférée
à l’encontre d’une femme qui n’observerait point les décisions :
ἣ δʼἂν ποῆι παρὰ τὸ ψήϕισμα ἐνθυμιστὸν αὐτῆι εἶναι
« si quelqu’une enfreint le décret, que ceci soit taraudant pour sa
conscience »."
(Laurent Dubois , « Dialectologie grecque »,
Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE),
Section des sciences historiques et philologiques, 141 | 2011)
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Le mois
Plyntèriôn est attesté dans les îles de Dèlos, d'Ios, de Chios, de Paros qui est la métropole de Thasos,
et il était déjà attesté à Thasos même avant la découverte de cette nouvelle inscription.
Les deux décrets inscrits sur notre pierre sont datés de ce même mois,
mais pas de la même année, puisque l'archonte éponyme a changé.
Les Thesmophories, fête de la fertilité, sont bien attestées à Athènes comme à Dèlos.
Elles se déroulaient dans un enclos sacré appelé le Thesmophorion,
et étaient réservées aux femmes.
Le mois Thesmophorion, quant à lui, est attesté en de nombreuses régions grecques :
Rhodes, la Crète, la Macédoine, l'Asie Mineure, etc.
Le fait que le premier décret de notre inscription interdise aux femmes lors des Thesmophories
de pénétrer dans le sanctuaire d'Apollon et Artémis Déliens
fait penser que ce dernier et le Thesmophorion devaient être proches.
les fêtes religieuses à Thasos :
On en connaît un très grand nombre
(en rouge dans le texte ci-dessous)
grâce à une inscription fragmentaire de la fin du IVe s. av.J.C.
(SEG 17, 415)
où sont mentionnés les jours de l'année où des actions judiciaires sont interdites :
— — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — —
αἷς ἡμέραις οὐκ ἔξεστιν ἐνδεικνύε̣[ιν ο]ὐδὲ ἀπάγει̣ν̣· [Ἁ]π̣ατ̣ου̣ρί̣ο̣[ι]ς, ․․Ω[․․․․․ π]άντας θεούς, Μαιμ̣α̣κτηρίοις, Ποσ̣ι̣δείοις ὅταν μοι[ρί]ζωμε̣ν, Ἀνθεστηρίοις,
Σωτηρίοις, Διονυσίοις, Διασίοις, Ἡρακλείοις τοῖς μεγάλοις, Χορείοις, Δυωδεκαθ̣ε̣[ίο]ις, Ἀλεξανδρείοις, Ι․Ο̣Α̣Ι̣Ο̣ΙΣ, Προστροπῆ̣ι Θεσμοφορίοις, Ἀσκληπιείοις τοῖς μεγάλοις,
Δημητριείοις, Ἡροξεινίοις, Διοσκουρίοις, Κωμαίοις τοῖς μεγάλοις, etc.
la Délienne :
En raison de ce titre dans le deuxième décret de notre inscription,
il semble que ce sanctuaire des deux dieux nés à Délos
ait été plus particulièrement voué au culte d'Artémis.
Les femmes à Thasos :
Sans qu'on puisse en tirer de conclusions trop générales,
il est remarquable que plusieurs inscriptions de l'île,
évoquent l'existence de gynéconomes,
autrement dit de magistrats chargés de la bonne tenue des femmes,
ou formulent des interdictions concernant spécifiquement les femmes,
par exemple :
---> Les deux décrets de notre inscription,
mais aussi :
---> SEG 2:505, du début du Ve s. av. J.C.
[Ἡρα]κλεῖ Θασίωι
[αἶγ]α οὐ θέμις οὐ-
[δὲ] χ̣οῖρον· οὐδὲ γ-
[υ]ν̣αικὶ θέμις· etc.